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Investir éthique, une tendance qui prend de l’ampleur

L’argent n’a pas d’odeur ? De moins en moins acceptable aux yeux d’épargnants qui veulent aussi donner de la morale à leurs investissements.

 » Pas question d’investir dans des industries qui font travailler des enfants « . Ou encore  » Pas question de mettre mon argent dans un secteur polluant « . Voilà, en résumé, ce qui motive les épargnants à choisir des placements durables. Ils demandent une transition de l’économie vers un monde plus juste. Le secteur financier tente donc de répondre à cette demande de fonds éthiques. D’autant qu’à cause de taux d’intérêt qui ne font plus rêver, les banques peinent à convaincre leurs clients de placer leur argent dans des produits financiers certes plus rémunérateurs qu’un compte d’épargne, mais bien en deçà des attentes. La tâche est ardue. Les institutions bancaires doivent désormais proposer quelque chose de moins conventionnel, de plus responsable.

Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir placer notre argent de manière socialement responsable

Voilà pourquoi aussi les fonds éthiques et durables, qui mettent la morale et l’environnement en lumière, sont sous les feux de la rampe. Le marché s’annonce porteur. Un Belge sur cinq cite déjà l’éthique comme critère déterminant pour ses placements. Cette notion arrive juste après le rendement, le risque encouru et la disponibilité des fonds (selon l’Observatoire des Belges et de leur épargne, CBC). Les investissements durables commencent donc à avoir le vent en poupe. Les Belges détiennent actuellement plus de 11,5 milliards en fonds SRI (investissement socialement responsable) contre 6,5 milliards en 2008.

Mais un autre constat, plus classique celui-là, laisse apparaître que près de neuf épargnants belges sur dix restent indéfectiblement attachés aux comptes d’épargne. Plus de 265 milliards d’euros y végètent donc dans l’attente de jours meilleurs. Le hic, c’est qu’un compte d’épargne ne rapporte plus rien ou si peu (à peine 0,11%). Le seul avantage qu’il procure, c’est que la totalité de l’argent est disponible en permanence. Que faire ? Il existe d’autres placements qui assurent la sécurité et des taux plus avantageux.

Prenons un invest plan d’une grande banque sur 8 ans. Ce placement défensif propose techniquement du 2 % en rendement brut global. Mais le rendement ne sera en réalité que de 1,31 % en annuel net (avec les frais et les taxes). C’est certes dix fois plus qu’un livret d’épargne. Le capital est garanti, ok, mais le rendement reste inférieur à l’inflation. Il faut donc trouver de nouveaux arguments pour inciter les Belges à placer leur argent autrement malgré la faiblesse des rendements. Un banquier nous racontait en  » off  » que les placements éthiques, même s’ils sont fiables et respectables, sont devenus chez certaines institutions bancaires un argument pour inciter les épargnants à placer leur argent sur le moyen ou le long terme. Dans le dernier  » Observatoire des Belges et leur épargne  » d’octobre 2018, la CBC estimait effectivement que ce type d’investissements pouvait faire bouger les lignes de l’épargneréflexe des Belges. L’épargne-réflexe, c’est quand on privilégie le livret d’épargne contre vents et marées.

Quelques secteurs investis par  » l’argent durable « 

  • Les technologies environnementales et la protection de la planète
  • Les technologies médicales, l’amélioration de la santé des individus
  • La responsabilité sociale des entreprises (enjeux sociaux et éthiques)
  • La recherche et l’enseignement

Pas de tabac, pas d’alcool

Ceci dit, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car quitte à investir, autant le faire avec certaines valeurs et même avec classe. D’une part, les placements responsables éliminent de leur univers d’investissement certains secteurs comme l’armement, le tabac, l’alcool, les paris, le nucléaire, l’industrie pornographique, etc. D’autre part,  » l’émergence des investissements durables est incontestablement une opportunité pour le particulier d’être un acteur dans la transition énergétique, estimait Marie Lambert, professeur de finance à HEC Liège, lors de la sortie de  » L’observatoire des Belges et leur épargne « . L’intérêt croissant des investisseurs particuliers symbolise une véritable prise de conscience. Ce mouvement durable a été initié par des préoccupations liées au changement climatique et à la nécessite de réduire nos besoins énergétiques et notre empreinte carbone. Le durable a évolué vers une notion plus large qui implique désormais une responsabilité sociétale. « 

C’est pourquoi on parle désormais dans le jargon des banquiers d’ESG (environnement, social, gouvernance) ou encore d’ISR (d’investissements socialement responsables). Reste que  » les épargnants belges sont désarçonnés face à une quantité importante d’informations et de critères à prendre en compte sur les marchés financiers « , ajoute Marie Lambert. Cela vaut aussi et surtout pour les placements durables.

Mais au fait, quels sont ces fameux produits financiers responsables proposés aux épargnants ?  » Il existe aussi bien de comptes d’épargne que des comptes à terme, mais aussi des produits d’investissement de type Sicav, des produits d’assurances également. Et depuis peu, l’épargne pension est également concernée « , répond Bernard Bayot, le directeur de Financité. Cette structure publie chaque année un rapport qui dresse un état des lieux quantitatif et qualitatif de l’ISR sur le marché belge.  » Bref, tous les produits financiers classiques ont leur pendant en responsable sur le marché belge « , précise Bernard Bayot.

Quid des rendements de ces produits ?  » Il n’y a pas de différences notables. Il y a eu de très nombreuses études en la matière et il apparaît globalement que la rentabilité est équivalente en moyenne. «  Bien entendu, comme les investissements classiques, les placements durables sont soumis selon leur nature à différents types d’impôts, comme la taxe boursière ou le précompte mobilier.

Investir ici, dans la santé

Investir éthique, une tendance qui prend de l'ampleur
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L’association Médecins du Monde a ouvert deux nouveaux centres de soins de santé intégrés à Bruxelles : Molenbeek (K-Nal Santé) et Anderlecht (Kure & Care). Ces centres s’adressent aux plus vulnérables, potentiellement une personne sur quatre dans l’agglomération bruxelloise. Il s’agit des personnes âgées isolées, des sans-abri, des immigrés, des Bruxellois n’ayant pas accès au système de soins traditionnel... Quel rapport avec le placement éthique ? Médecins du Monde a collecté 250.000€ pour ces centres. Cet emprunt a reçu le label de Financité-Fairfin. Des particuliers ont pu investir entre 100€ et maximum 50.000€ dans ce projet sur 5 ans. En échange, les investisseurs ont reçu un intérêt brut annuel de 2 %.

Et pour en revenir aux rendements identiques, Erik Breen, directeur SRI chez Triodos (une banque qui se concentre essentiellement sur les activités bancaires durables et éthiques), affirme  » qu’après tout, c’est logique. Car il s’agit d’investissements et non de philanthropie. Plusieurs études ont démontré que les investissements durables ne donnent pas des rendements inférieurs aux investissements classiques. Mais mieux encore, les retours sur investissement y sont généralement meilleurs sur le long terme. Cette conclusion provient également de grosses structures comme UBS, Morgan Stanley et Harvard University. « 

On ne dit pas autre chose chez DNCA Investments, un spécialiste qui a récemment converti trois fonds existants en fonds durables :  » Il est maintenant démontré que la réduction de l’univers d’investissement ne nuit pas à la performance des fonds durables. Si le sujet a longtemps fait débat, il faut savoir que la corruption, les accidents industriels, la fraude fiscale et un climat social dégradé entachent la réputation d’une entreprise. Ils peuvent avoir des répercussions opérationnelles et financières qui affectent négativement son parcours boursier. L’analyse de la responsabilité d’une entreprise permet donc d’anticiper ces risques. Nous pensons donc que la performance financière ESG va s’accroître avec le renforcement de la réglementation et la sensibilisation croissante des consommateurs et de manière générale. « 

Les placements durables sont également soumis à la taxe boursière et au précompte mobilier.

Comment séparer le bon grain de l’ivraie ?

De réglementation, parlons-en justement. Il n’y en pas pour le moment en Belgique en ce qui concerne les fonds durables. En clair ? Propose qui veut de tels fonds sans véritable vérification. Il faudrait donc se fier au sérieux de l’enseigne qui en vend. Ou se renseigner auprès d’acteurs comme Financité ou Fairfin. Car ne pas avoir de réglementation, pour prendre un exemple alimentaire, c’est un peu comme si les acheteurs de produits bio devenaient subitement  » aveugles  » et ne pouvaient plus s’appuyer sur des labels pour leurs achats.  » Un encadrement législatif et, au minimum, une uniformisation des critères de définition des investissements durables permettraient une meilleure lisibilité des produits disponibles et pourrait encourager les Belges, comme leurs voisins européens à intensifier ce mouvement durable déjà bien initié « , ajoute Marie Lambert, professeur de finance.

Bernard Bayot de Financité est sur la même longueur d’onde  » Finalement, c’est quoi un fonds durable ?, s’interroge-t-il. Il n’y a pas de définition unanimement admise et c’est pour le moment une des faiblesses de ce type d’investissement. Je dirais par défaut que c’est une forme d’investissement ou d’épargne qui a pour objectif des considérations financières (durée, risque) mais qui est en outre attentif à l’impact social et/ou environnemental. C’est une définition très large. Il peut se cacher derrière ces investissements une méthodologie différente. Le marché est très hétérogène. Chacun y va de sa définition, de ses critères, de sa procédure d’évaluation.

Une des difficultés, c’est que derrière ces appellations (durable, socialement responsable) se cachent des réalités forts différentes. C’est pourquoi nous publions, depuis quinze ans, un rapport d’investissement socialement responsable. Qu’en penser ? Qu’il existe de très bons élèves parmi les fonds d’investissements qui s’autodéclarent durables. Mais, malheureusement, il existe aussi de très mauvais élèves qui revendiquent cette notion alors qu’ils n’ont absolument aucune raison de le faire. « 

Marée noire sur les placements

Investir éthique, une tendance qui prend de l'ampleur
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Les placements éthiques, c’est socialement responsable, durable, mais cela crée aussi de la valeur  » sereine  » pour les investisseurs. Car la durabilité permet d’atténuer les risques, mais aussi d’identifier ou d’éviter les problèmes qui pourraient plomber les comptes d’une entreprise.  » La marée noire sur la plate-forme de forage Deepwater Horizon de la société pétrolière britannique BP en 2010 en est l’exemple type, note David Sheasby spécialiste chez Martin Currie (actions internationales). La mauvaise gouvernance peut mener à la catastrophe. En ce qui concerne la plate-forme de forage Deepwater Horizon, les réductions de coûts excessives, les contrôles médiocres et le manque de transparence ont mené à la catastrophe. Et ce, tant pour les employés qui ont perdu la vie, que pour les communautés locales touchées et accessoirement pour les actionnaires. « 

Pour rappel, la catastrophe Deepwater Horizon a tué 11 personnes et a généré une marée noire de grande envergure. Le volume de pétrole répandu a été estimé à environ 5 millions de barils. Ce qui a affecté l’environnement du golfe du Mexique.  » Immédiatement après l’événement, poursuit David Sheasby. La valorisation boursière de BP a été réduite de moitié, la chute dépassant les 60 milliards de dollars US. Ce qu’il faut en retenir ? C’est que l’ESG (les piliers de l’investissement responsable et du développement durable) ne consiste pas uniquement à identifier les risques. Il nous aide aussi à identifier les facteurs non financiers, ou plus précisément non encore financiers, susceptibles d’affecter les rendements sur le long terme. « 

De l’éthique, pas du toc !

Ils sont dans la même veine que le  » greenwashing « , c’est-à-dire de rendre écologiques des pratiques qui ne le sont pas réellement.  » C’est une des faiblesses du marché et l’enjeu serait d’avoir une norme, embraye Bernard Bayot. Cette idée n’est pas nouvelle. Cela fait dix ans que nous la demandons. Pour prendre l’exemple de la France, voilà plus d’un an qu’il existe une norme légale pour les investissements socialement responsables. Là, les émetteurs doivent répondre à un cahier des charges précis. La Commission européenne élabore aussi en ce moment un train de mesures destinées à encourager les banques, les N° 354 DÉCEMBRE 2018 PLUS MAGAZINE 73 fonds de pension et les assureurs à opter pour des placements verts. Est-ce que cela sera suivi des faits ? C’est une autre question...

L’expérience montre qu’au sein même d’une même institution bancaire, il y a des produits de qualité différente. Et deux fonds qui émanent de la même institution ne sont pas nécessairement de la même qualité. «  Aux épargnants d’être exigeants avec leur argent. Pour que leur éthique ne soit pas en toc.

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