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Investir dans le bien de son conjoint

Construire ensemble un nouveau nid est un beau projet commun. En revanche, investir dans la maison de son partenaire n’est pas sans risques. Prenez le temps de réfléchir à toutes les conséquences et faites-vous conseiller.

Nous recevons régulièrement des courriers de lecteurs qui s’interrogent sur l’opportunité d’investir dans l’immeuble de leur partenaire. C’est le cas de Nathalie, qui aimerait participer à la rénovation de la maison de son mari.

« Eric a hérité d’une maison dans le Hainaut et nous souhaitons la rénover pour nous y installer. Il possède une maison et moi un appartement. J’aimerais participer financièrement aux rénovations puisque la maison rénovée deviendra notre domicile. Nous sommes mariés sous le régime de la séparation des biens. Notre notaire nous a conseillé de créer un patrimoine commun limité, comprenant la maison à rénover et l’appartement de manière à équilibrer les apports. Je n’ai pas d’enfant et mon mari a une fille. S’il décédait avant moi, je devrais partager cette communauté – dans laquelle se trouverait mon appartement – avec ma belle-fille. Comment co-investir tout en conservant mon indépendance ? »

Nous avons soumis cette question, et d’autres, à Carol Bohyn, notaire, porte-parole de Notaires.be.

PATRIMOINE COMMUN

Financer des travaux, c’est devenir copropriétaire ?

Carol Bohyn : « Non, le fait de participer au financement des rénovations ne fera pas de Nathalie la copropriétaire de la maison puisque le propriétaire d’un bien immobilier est la personne dont le nom figure dans l’acte de propriété. Elle le devient en faisant entrer la maison dans un patrimoine commun, une situation qui a des conséquences sur le plan de la succession.

Avant, il existait une bonne raison de procéder de la sorte : les deux partenaires pouvaient bénéficier de la prime au logement, mais cette disposition a été supprimée cette année. Reste l’aspect sentimental : on investit plus volontiers dans un bien dont on est propriétaire. »

Les deux doivent-ils apporter leur écot au patrimoine commun ? Peut-il exister un déséquilibre dans l’apport de chacun ?

« Il n’y a aucune obligation à ce que chacun apporte quelque chose au patrimoine commun. La part de chacun peut être aussi importante ou aussi réduite que le couple le désire. Nathalie et Eric pourraient choisir de limiter la communauté de biens à la nouvelle maison familiale. »

LA MAISON FAMILIALE

Le couple va vivre dans la maison dont Eric a hérité. Le domicile familial est protégé par la loi. Que cela signifie-t-il exactement ?

« Il est important de noter qu’Eric et Nathalie sont mariés. La maison familiale est en effet protégée pour le partenaire qui n’en est pas le propriétaire, mais cette protection ne s’applique qu’aux personnes mariées ou qui cohabitent légalement. Même si Nathalie ne devient pas copropriétaire, son mari ne pourra vendre la maison familiale ni la mettre en hypothèque sans son accord. Il le pourrait s’ils étaient cohabitants de fait. »

EN CAS DE DÉCÈS

Nathalie pourra-t-elle continuer à vivre dans la maison après le décès d’Eric ?

« Si le couple n’a pas mis la maison dans le patrimoine commun, elle reste le bien propre d’Eric. Etant donné qu’ils sont mariés, Nathalie héritera de l’usufruit la maison qu’ils occupaient ensemble. La fille d’Eric héritera de la nue-propriété. Cette situation n’est confortable ni pour l’une ni pour l’autre. Nathalie devra demander à la fille d’Eric son accord pour les investissements éventuels et les frais d’entretien de la maison tandis que cette dernière devra peut-être attendre longtemps avant d’entrer en possession de son héritage.  »

La fille d’Eric peut-elle obliger Nathalie à vendre la maison et lui racheter son usufruit ?

« Absolument pas. L’usufruit de Nathalie sur la maison familiale est protégé. La fille d’Eric peut éventuellement proposer de le lui racheter mais elle ne peut l’exiger. »

Eric peut-il, par testament, accorder à Nathalie un droit plus étendu sur sa maison afin de lui éviter d’être confrontée à sa division en nue-propriété et usufruit ?

« Eric pourrait laisser l’entière propriété de sa maison à Nathalie par testament mais sa fille aura toujours droit à sa part réservataire, c’est-à-dire la moitié de son héritage en nue-propriété.

Si sa part réservataire n’est pas préservée, elle est en droit d’exiger la réduction de la part de Nathalie qui devra alors lui verser une partie de la valeur de la maison. En effet, dans le cas d’un couple qui n’a pas d’enfant en commun, les conjoints ne peuvent pas décider de laisser l’ensemble de leurs biens au survivant pour empêcher leurs enfants issus d’une union précédente d’entrer immédiatement en possession de leur héritage. Ce n’est possible que lorsque les enfants sont communs. »

Inversement, Eric peut-il choisir de favoriser sa fille en lui accordant davantage ? Peut-il limiter le droit à l’héritage de Nathalie ?

« Oui, absolument. Il peut le faire par testament ou par le biais d’une clause du contrat de mariage appelée « clause Valkeniers » qui lui permet de stipuler que Nathalie n’aura la jouissance de la maison que pour six mois (c’est le minimum).

Cette disposition n’est possible que dans le cas d’un enfant non commun. Si Eric et Nathalie avaient eu des enfants ensemble, Eric ne pourrait pas limiter l’usufruit de Nathalie à un droit d’habitation. »

Les (beaux-) parents et les enfants peuvent-ils régler préalablement la succession en concluant un pacte successoral ?

« Depuis 2018, parents et enfants peuvent en effet prendre des dispositions dans un pacte successoral. La fille d’Eric pourrait ainsi notifier son accord sur un certain nombre d’éléments.

Cependant, le pacte successoral ne peut porter que sur une donation ou une attribution déjà effectuée et ses conséquences futures. Il n’est pas possible de convenir que la maison ira au beau-parent. »

Quid si la maison est reprise dans le patrimoine commun et que Nathalie en est donc la co-propriétaire?

« A la mort d’Eric, Nathalie sera pleinement propriétaire d’une moitié. La fille d’Eric héritera de la nue-propriété de la seconde moitié dont sa belle-mère conservera l’usufruit. On constate que, dans ce cas aussi, il y a partage de la propriété. »

EN CAS DE DIVORCE

Nathalie peut-elle récupérer l’argent personnellement investi dans les travaux de rénovation?

« Si la maison est reprise dans le patrimoine commun, il faut s’en référer au contrat de mariage. Une clause pourrait stipuler qu’Eric est en droit de reprendre la maison en cas de divorce, à condition de dédommager Nathalie. On peut aussi imaginer qu’une clause interdirait à Eric de reprendre la maison mais qu’il aurait le droit de récupérer la valeur initiale.

Dans l’hypothèse où la maison ne ferait pas partie du patrimoine commun, Nathalie a également droit à être dédommagée de son investissement selon un mécanisme appelé  » comptes de récompense « . Il lui appartiendra d’apporter la preuve qu’elle a investi ses propres capitaux, ce qui n’est pas très difficile quand le couple est marié sous régime de la séparation des biens.

Elle doit également prouver – par exemple en produisant des factures – que l’investissement concerne effectivement la maison et pas un éventuel autre bien immobilier. Outre qu’elle récupère les sommes réellement investies, Nathalie a également droit à une partie de la plus-value que la maison a acquise du fait des travaux. Etant donné qu’il s’agit d’un couple marié, cela aurait également état le cas si la maison n’avait pas été reprise dans le patrimoine commun. »

Toujours du sur mesure

Les éclaircissements apportés par la notaire Carol Bohyn s’appliquent à la situation spécifique de Nathalie et Eric, mariés sous le régime de la séparation des biens et sans enfant en commun. Même si les situations se ressemblent, elles sont toutes différentes car tout le monde n’a pas les mêmes souhaits. Il importe donc d’analyser soigneusement sa propre situation et d’envisager toutes les conséquences. Trouver la solution qui contente les deux parties est toujours un travail sur mesure. Prenez votre temps et discutez-en avec votre notaire.

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