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Héritage et donation : À chaque enfant une part égale

Il est difficile de traiter ses enfants sur un pied de stricte égalité. Néanmoins, la loi vous donne les moyens de corriger d’éventuels déséquilibres. Mais jusqu’où pouvez-vous ou devez-vous aller?

L’égalité entre les héritiers est un concept du droit des successions qui fait référence aux dons tangibles tels qu’une somme d’argent ou un terrain à bâtir. Mais qu’en est-il de tout ce qui est immatériel, comme aider l’un de vos enfants à rénover son logement ou de laisser à un autre la disposition gratuite d’un appartement pendant quelques années. Et les bijoux? Combien de mamans ne transmettent-elles à leurs filles les bijoux dont elles ont elles-mêmes hérités de leur mère. Cela semble aller de soi mais ce ne l’est pas forcément, surtout s’il s’agit de bijoux de valeur. Et quand bien même leur valeur ne serait que purement sentimentale, en les attribuant à votre fille ne manquez-vous pas à vos obligations envers votre fils?

« Si vous donnez 50.000€ à votre fils pour ouvrir un commerce, il semble logique que vous donniez la même somme à votre fille, souligne la notaire Joni Soutaer. D’ailleurs, elle a la loi de son côté. Si elle ne reçoit pas ces 50.000€ de votre vivant, il y aura compensation (le terme juridique est imputation) au moment du partage de l’héritage. Mais qu’en est-il si votre fils vit gratuitement dans votre appartement? La loi est muette à ce sujet: elle ne considère pas qu’il s’agisse d’un don qui doit faire l’objet d’une compensation. Même chose pour le baby-sitting gratuit, les études plus longues et plus coûteuses ou le coup de main lors de travaux. Or, ce sont là des gestes qui peuvent être à l’origine de frictions au sein d’une famille. »

Le pacte successoral à la rescousse

Le pacte successoral offre une solution dans la mesure où vous pouvez mettre par avance – comprenez avant votre décès – un tas questions sur la table. Comment fonctionne-t-il? Quelles inégalités permet-il de gommer?

« Le pacte successoral est la seule solution juridique, explique le notaire. Il permet de tirer un trait sur le passé puisque toutes les parties le signent et reconnaissent explicitement qu’il y a un équilibre. En d’autres termes, vos héritiers reconnaissent avoir été traités sur un pied d’égalité. A votre décès, les différents points repris dans le pacte ne sont plus contestables. Concrètement, vous vous réunissez tous chez le notaire pour dresser une liste de tous les coups de pouce donnés par le passé et qui, selon vous, devraient faire l’objet d’une compensation. Ces coups de pouce sont de tous ordres: vous avez gardé les enfants de votre fille jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’école, vous avez payé les études de votre fils à l’étranger, vous avez participé aux travaux du petit dernier, etc.

Ensuite, vous estimez de manière aussi précise que possible chaque point de votre liste. Imaginons que votre fils dépose ses enfants à la crèche alors que vous gardez ceux de votre fille. Pour que le traitement soit équitable, vous devez calculer ce que lui coûterait le prix d’une crèche (moins l’avantage fiscal). Si vous mettez gratuitement un logement à disposition de l’un de vos enfants alors que les autres paient un loyer, le montant du loyer servira de base au calcul de la compensation.

Olivier

« Après cinq ans d’études en Belgique, notre fils aîné a complété son cursus par une année aux Etats-Unis, ce qui nous a coûté beaucoup d’argent. Nos deux autres enfants ont opté pour une formation plus courte, trois ans l’un et l’autre. Nous ne souhaitions pas compenser les deux années d’études supplémentaires en Belgique – ce serait vraiment des comptes d’apothicaire – mais bien l’année aux Etats-Unis. Nous avons donc offert une petite voiture à chacun des deux plus jeunes. Nous en avons discuté ouvertement ensemble et j’ai le sentiment que tous les trois pensent avoir été traités sur un pied d’égalité. »

A l’euro près?

Un pacte successoral global doit-il aboutir à une répartition égale à l’euro près? « Non, pas nécessairement, poursuit la notaire. Il est tout à fait possible que la fille ne demande aucune compensation pour son frère qui disposait gratuitement de l’appartement des parents. Tout dépend des circonstances, des relations familiales... L’enfant qui a des soucis d’argent peut avoir eu la malchance ou en être responsable, ce qui est très différent. Le notaire joue un rôle de médiateur. Avec tous les membres de la famille, il cherche une solution équilibrée. L’objectif n’est pas tant que chacun reçoive exactement la même chose mais que chacun se sente traité sur un pied d’égalité. Il est très important que les enfants sachent que, une fois le pacte signé, il n’est plus possible de faire machine arrière. » Que se passerait-il s’il s’avérait après coup que l’un des enfants ait reçu une somme qui n’est pas reprise pas dans le pacte? « Cette donation spécifique sera déduite de l’héritage. Mais si la donation a été délibérément tue, il s’agit d’une fraude et le pacte successoral peut être déclaré nul. »

Héritage et donation : À chaque enfant une part égale
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Un acte mûrement réfléchi

Les parents ne doivent-ils pas craindre de provoquer davantage de dissensions? « Le pacte successoral est un bel outil qui permet d’éviter beaucoup de discussions et d’éventuels recours judiciaires ultérieurs mais les parents ont parfois peur d’ouvrir la boîte de Pandore, convient la notaire. C’est pourquoi il est préférable, dans un premier temps, de consulter un notaire sans ses enfants pour discuter des éléments à mettre dans la balance. Le législateur a tenu à éviter toute précipitation dans la conclusion d’un pacte successoral.Une fois que tout a été répertorié, le notaire envoie un projet d’acte à tous les membres de la famille. Deux semaines plus tard, il organise une réunion dans son étude pour en discuter. Chacun est libre de se faire accompagner de son conseiller, avocat ou notaire par exemple. S’ensuit un mois de réflexion obligatoire. Il est fréquent que pendant cette période un membre de la famille demande des explications supplémentaires. La moindre modification impose de recommencer la procédure à zéro. »

Martine

« Notre fille aînée et son compagnon ont acheté un terrain et ils aimeraient pouvoir vivre chez nous jusqu’à ce que leur maison soit construite. Nous ne leur demandons aucune contribution financière mais, pour compenser, nous donnons nos chèques repas à notre autre fille qui peut ainsi payer une grande partie de ses courses. Je ne sais pas si la compensation est suffisante, mais je sais qu’elle apprécie vraiment ce geste. »

Le pacte ponctuel

A côté du pacte successoral global, il existe également un pacte ponctuel. De quoi s’agit-il exactement? « Son objectif n’est pas de corriger d’éventuelles inégalités mais de parvenir à un accord sur un élément particulier, par exemple la valeur d’un bien. Imaginons que vous fassiez don de votre maison à vos enfants, vous pouvez en faire consigner la valeur dans un pacte ponctuel. Vous pouvez également stipuler qu’un montant X doit être pris en compte dans la part d’héritage de l’un de vos enfants. Exemple: vous donnez 20.000€ à chacun de vos deux enfants mais votre fils les conserve pour lui-même tandis que votre fille vous demande de les donner à ses propres enfants. Sans pacte ponctuel, elle pourrait affirmer au moment de partager l’héritage qu’elle n’a pas reçu cette somme et, par conséquent, réclamer une part plus importante. Pour éviter tout problème il suffit de spécifier dans le pacte ponctuel que 20.000€ devront être imputés sur l’héritage de votre fille ce qui met votre fils à l’abri.

Indemnisation sur papier

Peut-on imaginer un système d’indemnisation? Un enfant qui se serait occupé de ses parents pendant des années (faire les courses, le ménage...) a-t-il droit à une compensation financière sans qu’elle soit considérée comme une donation? « La justice accorde rarement ce genre d’indemnisation mais les parents sont tout à fait en droit de conclure un accord en ce sens avec un enfant nettement plus présent que les autres, affirme Jan Roodhooft, avocat. L’accord peut revêtir différentes formes: indemnité kilométrique, somme forfaitaire pour le ménage, allocation mensuelle si l’enfant héberge son ou ses parents, etc.

Attention à ne pas exagérer car des indemnités trop élevées pourraient faire penser à une donation déguisée qui donnerait lieu à compensation au moment du partage de l’héritage. Veillez à rester en dessous du prix journalier d’une maison de repos. Dans tous les cas, il est préférable de faire participer vos autres enfants et de leur demander de signer un document pour accord. C’est le meilleur moyen d’éviter toute discussion. »

A l’inverse, supposons que votre fils vienne vivre chez vous plusieurs années moyennent paiement d’un loyer que, finalement, vous laissez tomber au bout de quelque temps. « Si vous renoncez à exiger le paiement du loyer ou que le loyer est extrêmement faible, de nombreux juges estimeront que l’enfant ainsi favorisé doit indemniser les autres héritiers. Mais si, dès le départ, vous n’avez rien demandé ou convenu, vos autres enfants auront beaucoup plus de mal à obtenir une compensation. »

Une question d’équité

« Les enfants ont droit à un traitement inégal , affirme Philippe Noens, chercheur en éducation familiale au Centre de connaissance des sciences familiales de la haute école Odisee. Le concept d’égalité entre les enfants est interprété de manière beaucoup trop économique. On encourage les parents à compenser les inégalités de traitement, à estimer l’amour et les soins dont ils entourent leurs enfants. L’égalité de traitement peut alors ressembler au remboursement d’une dette. Il s’agit d’une vision unilatérale de l’égalité. Pour moi, l’égalité est plutôt une question d’équité, de justice. Ce qui est juste au sein de votre famille n’est pas imposé de l’extérieur, mais lui est spécifique.

On pourrait comparer l’égalité au sein d’une famille à un jeu où prévaut le fair-play. Mais attention, de la même manière que le fair-play ne se réduit pas à jouer le jeu selon les règles – le véritable fair-play consiste à faire ce que les règles n’imposent pas – l’égalité entre vos enfants ne peut être considérée comme une action guidée par des règles. En le traitant de manière différente, vous ne faites peut-être que rendre justice à un enfant. »

L’argent est souvent le critère de l’égalité entre les enfants. « Oui mais il y a autre chose derrière cet argent: l’attention que vous recevez dans votre enfance. L’exemple de Martine et de son mari (lire encadré), qui donnent leurs chèques repas à leur fille parce que sa soeur vit chez eux gratuitement, illustre bien cette situation. Ce n’est pas le cadeau qui importe mais les mots qui entourent le geste.

Les parents donnent un exemple de la manière dont ils souhaitent que l’on se traite les uns les autres au sein de la famille. Ils transmettent une certaine vision de la vie. » Faut-il systématiquement tout expliquer à ses enfants? « On se réunit physiquement autour d’une table pour se dire les choses, pour que les parents puissent clarifier leurs intentions et leur manière de rendre justice à leurs enfants.

Si vos enfants comprennent vos intentions, il leur appartient de juger que votre décision est juste ou non. Mais dans tous les cas, exposez votre raisonnement et donnez à vos enfants la possibilité de se positionner. Faites-le avec autorité. Dans ce contexte particulier, l’autorité n’est pas une manière d’affirmer son pouvoir car ce serait vider la conversation de son sens. Elle signifie que vous avez le droit de parler, que vous avez quelque chose à dire en tant que parent. Après tout, ce sont vos biens que vous partagez. »

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