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Comment l’urbanisme vous pourrit la vie

Les infractions urbanistiques sont devenues la terreur des acheteurs et des vendeurs. Une vieille infraction commise il y a quarante ans peut vous pourrir la vie.

Le charme est une notion étrangère aux urbanistes », estime Nicolas Hulot, bien connu chez nos voisins français pour ses émissions en faveur de l’écologie et ses différents passages en politique. Chez nous, plus pragmatiquement, l’urbanisme est une matière régionalisée et vous serez traité différemment si vous habitez en Flandre ou en Wallonie. Mais c’est certainement à Bruxelles que les règlements urbanistiques donneront des sueurs froides aux citoyens, surtout quand il s’agit de vendre ou d’acheter un bien.

Intéressons-nous ici à quelques particularités urbanistiques, non exhaustives, qui concerneront autant le navetteur qui compte s’établir dans la capitale, que les Flamands, de plus en plus nombreux, qui achètent en Ardenne. Ou encore ces Wallons toujours amoureux des Flandres et en particulier de la côte. Notre périple des prescriptions urbanistiques commence indiscutablement à Bruxelles, Région où il y a le plus à dire. Jadis, les Marolliens avaient inventé l’insulte « schieve architect » (architecte tordu) destinée à Joseph Poelaert, le maître d’oeuvre du palais de justice.

Certains à Bruxelles auraient tendance à remplacer cette invective par « schieve urbaniste ». Car dans la capitale, une infraction urbanistique est considérée comme continue. Ce qui signifie que même si les travaux de l’infraction ont été réalisés par de précédents propriétaires, même s’il s’est écoulé quarante ans depuis, même si l’immeuble a été vendu une ou plusieurs fois, il n’y a ni prescription, ni amnistie.

Selon le notaire bruxellois Olivier de Clippele, un quart des dossiers traités présentent des infractions urbanistiques. Logique quand on sait qu’avant, de nombreux travaux étaient effectués sans autorisation. Même l’Atomium (1958) est concerné, car il a été érigé sans permis!

Le top 5 des infractions

  • Changements d’affectation ou d’utilisation (transformer son garage en petit magasin, par ex.).
  • Travaux d’extension d’immeuble, les fameuses annexes.
  • Division d’un bien en plusieurs unités de logement (kot, etc.).
  • Aménagement de zones de recul en parking.
  • Remplacement non conforme des châssis.

SE PROTÉGER AVEC UNE CONDITION SUSPENSIVE

Vous craignez d’acquérir un bien grevé d’une infraction urbanistique? Dans la majorité des ventes en Belgique, les parties concluent un compromis de vente avant la passation de l’acte authentique de vente devant un notaire.

« Compromis de vente vaut vente », ce qui signifie que ce contrat est parfait dès la signature du compromis, sauf si les parties intègrent une condition suspensive. Ce qui implique alors que le compromis de vente « n’existe pas » tant que la condition n’est pas remplie. Par exemple: lier l’achat de l’habitation à la condition suspensive de régularisation urbanistique.

Le vendeur s’engage alors à régulariser la situation urbanistique au plus tard pour le jour de l’acte. Tant que la condition suspensive ne sera pas réalisée, le vendeur ne pourra pas exiger le paiement du prix de vente. L’acquéreur, de son côté, ne pourra pas exiger de son vendeur qu’il lui délivre l’immeuble.

Une moins-value de 10.000 euros pour des châssis!

Lydia vend un appartement à Bruxelles. Son notaire lui fait remarquer que, dans le rapport urbanistique, il est fait état de châssis en PVC. Or, ils étaient interdits à l’époque où ils ont été posés, c’est-à-dire avant 1990. Mais quand Lydia a acheté son appartement vers 2005, aucune information de ce genre ne lui a été communiquée. L’acheteur lui propose alors deux possibilités. Soit il obtient une réduction de 10.000€ et il réglera lui-même les frais de régularisation, éventuellement en remplaçant les châssis. Soit, une somme de 15.000€ est bloquée. Le vendeur devra utiliser cette somme pour régulariser la situation. Dans les deux cas de figure, Lydia se sent pénalisée pour une infraction qu’elle n’a pas commise.

DES AMNISTIES POUR LES VIEILLES INFRACTIONS

Il y a encore quelques années, au sein des communes, il y avait plus de dossiers de régularisation que de demandes de permis de construire pour l’extension ou la modification d’affectation de bâtiments. Ce temps est révolu. La réglementation est davantage appliquée et les sanctions pleuvent sur les contrevenants.

On se souviendra parmi les cas les plus médiatisés que l’artiste flamand Wim Delvoye avait restauré son château de Bueren (Melle) sans les permis nécessaires. Après quelques péripéties judiciaires, sa société et lui s’étaient vu infliger par la cour d’appel de Gand des amendes de respectivement 55.000€ et 49.500€. Il avait notamment coulé une dalle en béton, abattu une vingtaine d’arbres et élargi les douves.

Pour le commun des mortels, pas d’amendes pharaoniques, mais parfois la crainte de devoir démonter cette véranda construite « à l’abri des regards ». Pour eux, il y a une forme d’amnistie.

En Wallonie

La Wallonie a adopté la même logique pour le garage et la véranda érigés sans obtention d’un permis préalable. La Région a passé l’éponge comme en Flandre sur une série d’infractions urbanistiques: annexes, terrasses, vérandas, Velux, abris de jardin, piscines, l’abattage d’arbres... Si ces travaux ont été effectués sans permis (ou en méconnaissance du permis) avant mars 1998, ils ne peuvent plus faire l’objet de poursuites pénales ou civiles. Il est ainsi question de présomption de régularité.

Cette amnistie implique que les actes et travaux qui entrent dans son champ d’application sont automatiquement régularisés sans aucune démarche administrative à réaliser: plus aucun permis de régularisation ne doit être introduit pour les actes et travaux amnistiés et plus aucune poursuite pénale, civile ou administrative ne peut être engagée.

L’objectif est de mettre les nouveaux propriétaires à l’abri de vieux litiges qui pourraient ressurgir après l’acquisition d’un bien alors qu’ils n’ont pas réalisé les travaux en cause. Ce qui permet de faciliter bon nombre d’opérations immobilières. Sans créer de situation de blocage en cas de vente comme à Bruxelles.

Il existe des exceptions à cette amnistie. Il n’y a pas de pardon pour des constructions illégales en zone agricole, forestière ou naturelle.

A Bruxelles

Une réforme du code urbanistique bruxellois est envisagée. Selon le secrétaire d’État à l’Urbanisme Pascal Smet (one.brussels-Vooruit), un arrêté sur les travaux de minime importance sera modifié d’ici la fin de l’été notamment pour dispenser de permis d’urbanisme les travaux d’isolation des toitures et des façades arrière des bâtiments non visibles depuis l’espace public.

En Flandre

Les infractions urbanistiques antérieures au 1er septembre 2009 sont prescrites, enfin les infractions qui n’ont pas fait l’objet d’une action publique avant cette date. La preuve de la date des travaux peut se faire par toute voie de droit: notamment par la production de photos, d’un contrat d’entreprises, etc.

Donc, au contraire de Bruxelles, le simple fait de maintenir une situation infractionnelle dans le temps ne constitue plus, sauf exception, un vrai problème en Flandre. Techniquement, l’infraction subsiste, mais elle peut être maintenue en l’état sans faire l’objet d’une sanction pénale et/ou administrative. Et cela jusqu’à la réalisation de nouveaux travaux. Les propriétaires ne doivent plus craindre une amende ou la démolition. Un soulagement pour de nombreux propriétaires. On pense en particulier à des situations lors desquelles un entrepreneur ou les propriétaires n’ont pas suivi exactement les plans de l’architecte (quand il y en a eu un). On pense aussi aux petits aménagements, aux différences comme l’inclinaison du toit, l’emplacement d’une fenêtre ou l’implantation d’une véranda. Attention, dans les zones « vulnérables », il n’y a pas de prescription possible. Par zones vulnérables, on entend les zones vertes, les régions naturelles, les réserves naturelles, etc.

Partout en belgique

Acheter

  • Vérifiez si l’utilisation ou une des utilisations de l’immeuble est bien légale. Transformer un garage en bureau sans autorisation ne l’est pas, par exemple.
  • Vérifiez s’il n’y a aucune infraction urbanistique. Vous pouvez obtenir ces informations auprès de l’agent immobilier, de votre architecte ou de votre notaire. Mais pour être complètement rassuré, allez au service de l’urbanisme de votre commune.

Vendre

Pour éviter qu’on vous reproche le dol ou la mauvaise foi après la vente, vous devez transmettre au candidat acheteur ces documents:

  • Un titre de propriété
  • Un extrait de la matrice ou du plan cadastral
  • Les permis d’urbanisme relatifs à votre logement.

PAYER UN ARCHITECTE POUR REPEINDRE SA FAÇADE

Les règlements urbanistiques sont parfois surprenants. Une habitante de la région du Centre en a fait les frais. Elle désirait repeindre la façade de sa vieille maison dont une partie était en beige et l’autre en blanc. Mais voilà, pour l’urbanisme de sa commune, « l’aspect architectural initial plus de 25% de l’enveloppe du bâtiment » allait être modifié. Peu importe que la peinture de la façade fût écaillée, défraîchie. Non, on ne touche pas à l’aspect architectural. L’habitante aurait dû passer par un architecte et payer entre 2.000€ et 3.000€ en plus du coût des travaux de peinture. Des architectes qui n’aiment vraiment pas ce genre de dossier administratif. Car ils doivent se rendre sur place, mesurer, retracer les plans, remplir des formulaires et des notices d’incidence. Sans compter ensuite les semaines d’attente pour qu’un dossier soit accepté ou pas par l’administration.

Démarches pour repeindre sa façade

En Flandre et à Bruxelles

  • Façade visible depuis l’espace public: permis nécessaire.
  • Façade non visible depuis l’espace public: dispense de permis. Sauf si l’habitation se trouve dans une zone protégée.

En Wallonie

  • Même aspect: un permis n’est pas nécessaire si vous posez un nouveau revêtement de façade, à condition que les matériaux utilisés présentent le même aspect extérieur.
  • Aspect différent: si vous souhaitez utiliser un matériau différent, vous devrez demander un permis d’urbanisme. Notons cependant que la pose d’un enduit de façade de type crépi fait objet d’un permis d’impact limité sans architecte.

ÇA VA CHAUFFER POUR LE PORTEFEUILLE

Il ne fait aucun doute que les gros dossiers urbanistiques vont désormais concerner les questions d’énergie. Sans rentrer dans des détails techniques, a des degrés divers, les Régions du pays imposent déjà des constructions Q-ZEN (Quasi Zéro Energie) comme en Wallonie ou BEN (Bijna Energie Neutraal) en Flandre. Les coefficients d’isolation thermique sont de plus en plus stricts. Ces nouvelles exigences toujours plus concrètes ne concernent pas que les nouvelles constructions, mais aussi les projets de rénovation. Ce qui n’est pas sans conséquence pour le portefeuille en particulier avec la hausse constante des matériaux d’isolation. Le prix des plaques d’isolation est par exemple passé de 104€ par m3 en juin 2020 à 140€ par m3 actuellement. Une hausse de 35% qui ne sera probablement jamais compensée par des économies de chauffage. « Sur-isoler ça coûtera cher, mais vous allez consommer à peine moins d’énergie que si c’est normalement isolé », conclut Francis Carnoy de la Confédération Construction.

« J’ai déjà perdu 16 mois et un bon 6.000 euros »

Alain, la cinquantaine, a acheté un appartement en 1997. Situé dans une petite copropriété à Schaerbeek, il n’y a fait que des travaux d’embellissement, rien de structurel. Après y avoir vécu 22 ans, il a décidé de le vendre pour un appartement plus moderne et situé plus près de son travail. Bingo, son appartement à peine mis en vente, voilà qu’un acquéreur se manifeste. La suite: promesse de vente, compromis, etc. Happy end? Pas vraiment.

L’acheteur de l’appartement d’Alain se rend à l’urbanisme de la commune sur les conseils de son notaire. Et il se rend compte que des travaux structurels ont été effectués dans cet appartement. « Un mur porteur a été percé pour faire place à un escalier afin de raccorder deux pièces, raconte Alain. Les plans d’origine conservés à la commune ne correspondaient plus à la situation actuelle. Le propriétaire précédent n’avait rien déclaré. Et personnellement, je n’étais pas au courant de cette infraction quand j’ai acheté mon appartement. J’ai donc eu besoin d’un permis pour régulariser la situation et je me suis adressé à une société spécialisée tellement c’est technique. Cela ne devait prendre que deux ou trois mois. » Mais, dans la pratique...

UNE ENQUÊTE DE 160 JOURS

« La société mandatée a monté tout un dossier avec de nouveaux plans de l’appartement. Cela a pris 8 mois! Le service d’urbanisme a laissé s’écouler les 45 jours dont il disposait avant de se prononcer. Le dossier n’était finalement pas complet pour des broutilles. Des modifications ont été apportées et de nouveau 45 jours supplémentaires ont été perdus. Un doigt dans l’engrenage avait aussi été mis, car l’urbanisme a tout vérifié. Et les fonctionnaires ont constaté que les châssis de mon appartement étaient en PVC. Or, mon appartement est situé dans une zone d’intérêt architectural. Les châssis auraient dû être en bois. Là, nous étions repartis pour une enquête publique, ce qui prolonge la procédure de 160 jours! J’ai aussi dû me présenter devant une commission de concertation avec mon architecte. J’ai finalement reçu un accord de l’urbanisme moyennant certaines conditions, dont des châssis de la même couleur sur tout le bâtiment. Le permis serait en bonne voie. Il ne me reste plus qu’à recevoir ce dernier document officiel. Je l’attends depuis des... semaines! »

« GALOPEZ VERS L’URBANISME! »

Si, selon l’adage les meilleures choses ont besoin de patience, Alain est d’un avis mitigé sur la question. D’autant que « J’en suis à 16 mois de procédure. Le dossier m’a déjà coûté un bon 6.000€. » Il poursuit: « J’ai de la chance que mon acheteur est de bonne composition (il a été confronté à des problèmes similaires). Il vit déjà dans l’appartement grâce à une formule d’occupation précaire proposée par le notaire. Mais, techniquement, l’acte de vente n’est pas encore passé et je n’ai pas encore touché le moindre euro. Heureusement que j’ai pu compter sur l’aide de mes parents. Je n’ose pas imaginer la situation dans laquelle je me serais retrouvé si j’avais dû faire un crédit-pont auprès d’une banque. »

Le conseil d’Alain pour éviter de vivre une telle mésaventure? « Renseignez-vous bien auprès de l’urbanisme avant de mettre un bien en vente. Même conseil pour l’acheteur: galopez vers l’urbanisme! »

TOUT SUR L’URBANISME DANS CHAQUE RÉGION

Les règles, les formulaires, les exceptions, les infractions, mais aussi les permis d’urbanisme, les primes, les exigences PEB, les aides à la construction, les travaux qui peuvent être effectués sans architecte, etc.: http://lampspw.wallonie.be/dgo4 pour la Wallonie https://urba.irisnet.be pour Bruxelles www.omgevingsloketvlaanderen.be pour la Flandre.

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