Anne Vanderdonckt

Qui veut changer les couches du Tamagotchi ?

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

« Mais pourquoi donc, alors que nous aspirons tous à notre indépendance, à notre liberté, alors que nous sommes souvent chargés de responsabilités qui nous restreignent ce besoin d’indépendance, allons-nous, de notre propre gré, jouer à nous mettre au service d’objets connectés qui sont autant de fils à la patte ? »

Il y a de ces femmes qui ne leur prêtent aucune attention et pour lesquelles les hommes vont décrocher la lune. Moi, je suis une femme comme ça. Avec les plantes. Je les arrose quand j’y pense. Leur donner du terreau, je n’y pense pas. Quant à leur parler, vous voulez rire ! Et pourtant, depuis toujours, mes plantes prospèrent, insoucieuses de ce que je les considère comme un fil à la patte dont la longévité m’apparaît comme une vexation à perpétuité. Mais pourquoi ai-je encore une fois été adopter un végétal ?

Cette fois, il s’agit d’un trio de plantes aromatiques – basilic, pimprenelle, sauge – vendu sous la dénomination de jardin d’intérieur. Mon jardin porte même un prénom, il s’appelle Lilo. Plantées dans des capsules spéciales qui flottent sur l’eau, chapeautées par un éclairage led automatique, de 7 h à 23 h, les plantes sont en mode printemps-été et poussent donc comme par magie. Jouer à  » Martine fait pousser son basilic dans sa cuisine mais les voisins sont persuadés que c’est du cannabis  » (à cause de l’éclairage) m’a follement amusée. Pas longtemps. Car mon jardinet est connecté. Ce qui signifie... Voici ce que je vois quand j’ouvre mon smartphone :

  • Basilic : n’oublie pas de me faire une coupe
  • Sauge : j’ai faim, vite mon 2ème sachet (vert) de nutriments
  • Réglez la hauteur de la lumière
  • Pimprenelle : j’ai soif, arrose-moi

Tous les jours, des demandes, des exigences, des ordres, des récriminations. Et, c’est vrai, la promesse de disposer de basilic maison à Noël. Mais qui mange du basilic à Noël ? Ceci dit, le gadget peut se trouver justifié par une fonctionnalité. Contrairement à ce Furby tellement désiré, peluche animée interactive à faire évoluer qui, elle aussi, fit un jour partie de ma vie. Un petit être revendicateur qui émettait un vacarme pas possible jusqu’à ce qu’on lui gratte le ventre et qu’il se mette alors à ronronner... et à roter. Un casse-pieds.

Aujourd’hui, c’est un autre casse-pieds de compagnie connecté qui fait son come-back pour Noël, vingt ans après : le Tamagotchi. Qu’on ne s’y trompe pas : la cible, c’est nous, les adultes nostalgiques qui avons naguère couvé cette bestiole, pas les enfants qui n’accorderont pas une seconde de leur attention à cet oeuf en plastique coloré de 4 cm muni d’un petit écran sur lequel s’agitent des pixels désuets.

Dans le journal où je travaillais à l’époque, nous en avions adopté un. Il fallait le nourrir, le coucher, le soigner, le nettoyer, le câliner. Bip ! Bip ! Combien de couches virtuelles avons-nous changées ! Mais par un funeste vendredi où l’actualité se bousculait, l’oeuf fut oublié pour le week-end dans un tiroir. Le plus fou, c’est le sentiment de culpabilité collectif éprouvé alors pour ce morceau de plastique moche. Mais pourquoi donc, alors que nous aspirons tous à notre indépendance, à notre liberté, alors que nous sommes souvent chargés de responsabilités qui nous restreignent ce besoin d’indépendance, allons-nous, de notre propre gré, jouer à nous mettre au service d’objets connectés qui sont autant de fils à la patte ? Donc, stop !, je débranche !, le Tamagotchi nouvelle mouture n’éclora pas le 25 décembre sous mon sapin. Qui, par ailleurs, est un magnifique faux qui n’exige pas une seule goutte d’eau.

Joyeux Noël !

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