Ludo Hugaerts

Lettre ouverte d’un sexagénaire

L’auteur de cette lettre ouverte est âgé de 69 ans et a travaillé les treize dernières années de sa carrière comme journaliste. Il vient de décrocher un master en Langue & Littérature Latin-Grec. Il passe désormais le plus clair de son temps à travailler comme free-lance, à s’occuper de ses petits-enfants et à explorer les nouveaux médias.

Je suis un sexagénaire actif et j’observe que de nombreux annonceurs s’intéressent – encore et toujours – très peu à ma génération, car ils considèrent qu’il ne pourront pas nous inciter à changer de mode de vie et de marques. Grand bien leur fasse, voilà ce que je pense avec un malin plaisir, mais se rendent-ils réellement compte des opportunités – et du chiffre d’affaires – qu’ils ratent ?

Je suis prépensionné depuis 2014. Un an et demi plus tard, comme de très nombreux ’50+’, je m’inscrivais à l’université pour y suivre deux années de master. Nouveau statut oblige, je me suis équipé pour jouer au parfait petit étudiant : smartphone, tablette, abonnement aux transports publics...

En utilisant ce smartphone, je n’ai remarqué que deux différences avec mes jeunes camarades (18-22 ans). Ils tapent leurs messages beaucoup plus vite que moi, mais je suis le seul à gérer mes opérations bancaires via mon téléphone. La plupart d’entre eux réglaient en effet leurs achats avec le modeste viatique alloué par leurs parents et n’avaient que faire de cette app – même si elle a probablement été conçue pour eux et non pour moi. Mon ‘nouveau’ comportement de consommation ne s’arrête pas là. Mon épouse et moi-même, nous nous occupons régulièrement de nos petits-enfants et, pour ce faire, nous écumons tant les magasins classiques que les webshops, à la recherche de jouets amusants, de vêtements et d’accessoires pour enfants. Nous allons en outre bientôt acheter une nouvelle voiture et nous commençons à envisager un déménagement. Nous disposons de davantage de temps et de budget pour des voyages plus originaux. La semaine dernière, je me suis par exemple surpris à rechercher sur Airbnb un logement en Laponie où passer des vacances en hiver.

Lettre ouverte d'un sexagénaire
© Getty Images/iStockphoto

Aujourd’hui, mes congénères et moi vivons non seulement plus longtemps, mais aussi en meilleure santé. Quelle est la tranche d’âge qui achète le plus de vélos, de home-trainers, de suppléments alimentaires et de matelas de qualité ? Nous. Qui roule le plus en cabrio et à moto ? Encore nous. Qui utilise tant les médias classiques – radio, télé, quotidiens – que Facebook et consorts ? Toujours nous. Nous ne vivons pas seulement plus longtemps, mais nous travaillons aussi plus longtemps, en ayant donc besoin de tous les produits liés à une vie professionnelle active. Jamais encore les 55+ au travail n’ont été aussi nombreux. Selon un rapport du SPF Economie (mars 2017), quelque 45,5% des 55+ étaient professionnellement actifs en 2016 (contre 35% seulement en 2005). Par contre, au cours de la période 2006-2016, le taux d’emploi des jeunes a baissé de 27,6 à 22,7%, avec un impact direct sur leur pouvoir d’achat. Par ‘jeunes’, j’entends ici la tranche des 15-24 ans, c’est-à-dire le coeur de cible de nombreux marketeurs.

J’observe – à nouveau – avec un malin plaisir que mes congénères et moi consacrons notamment notre argent à des produits qui n’étaient pas initialement conçus pour nous : trekkings, repas style Hello Fresh, boissons énergétiques, services de streaming, réseaux sociaux... Autant de produits et services conçus par des jeunes pour les jeunes. Eventuellement pour les enfants du millénaire, mais certainement pas pour les 50+, qui en sont pourtant devenus de gros consommateurs. Au point que, aujourd’hui, Facebook semble être devenu la chasse gardée des baby-boomers, du moins en Europe et en Amérique du Nord.

J’ai parfois l’impression que nombre d’entreprises et d’annonceurs sont les victimes involontaires de leur propre département marketing. Trop souvent, les marketeurs (même les plus âgés !) se focalisent uniquement sur les jeunes. Ils restent aveugles au potentiel, aux aspirations et au pouvoir d’achat des nouveaux 50+. Dans leurs plans marketing, ils sont selon moi souvent à côté de la plaque (cfr. les exemples précités) mais, surtout, ils font rater à leur entreprise de juteux revenus. Seigneur, délivrez donc nos entreprises et nos annonceurs de ces marketeurs aveugles. Et faites-leur enfin découvrir la lumière et prendre conscience du ‘nouveau’ consommateur que je suis.

Mais attention toutefois, car je ne souhaite pas être pris par la main comme un enfant. Pas question d’apartheid 50+. Je ne suis pas preneur de chaînes de télé spécifiques, comme Omroep Max aux Pays-Bas, ni de supermarchés dédiés aux seniors, comme en Autriche, avec l’expérience malheureuse du groupe Adeg. Je ne veux pas d’hôtels, centres de fitness, voyages ou sites de rencontre réservés aux têtes blanches. Ni, bien sûr, de spots publicitaires qui me sont exclusivement destinés. Ma boisson préférée, c’est un savoureux cocktail générationnel ! Je suis simplement un client potentiel comme un autre. Un prospect qui ne souhaite être ni oublié ni négligé.

Ce texte est paru dans Varia, n°164, le magazine du VAR.

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