Ces petits deuils dont on ne parle jamais

J’aime, le vendredi soir, piocher dans la pile de magazines de la semaine. Ce soir-là, choc !, en page 5 du Vif/L’Express, la rédactrice en chef Christine Laurent annonce son départ à la retraite. Christine... Tout ce que cela remue...

Le temps qui passe si vite... Car ces années nonante que nous avons passées ensemble, nos vestes aux épaulettes disproportionnées, qui se sont adoucies au fil de la décennie, les reportages qui secouent, c’est comme si c’était hier (est-il formule plus convenue ?, mais tant pis, c’est celle qui s’impose). Toutes les images remontent à la surface. Dans le désordre. C’est tout un pan de vie, de ma vie aussi, qu’il y a dans ces mots de départ sobrement imprimés noir sur blanc. Des mots qui s’adressent à tous et qui me laissent seule face à moi-même.

Ce qui remonte, ce vendredi soir, ce sont tous ces moments où je me demande comment elle, au même titre que d’autres collègues qui ont été pour moi des références, aurait réagi ou formulé les choses face au problème auquel je suis confrontée. Ce sont des phrases, des idées qui ont été formatrices, adoptées ou rejetées. Dans le milieu professionnel, comme au sein d’une famille,  » on fait comme  » ou  » on ne fait surtout pas comme « . On est soi, avec tout ce que les autres vous apportent, parfois à votre insu et surtout au leur. Dans la foulée, on se demande : et moi, que vais-je laisser ? Ce que j’ai l’intention de laisser, ma passion ? Tous ces petits trucs et astuces professionnels dont je dis toujours en plaisantant qu’ils serviront toute une vie? Ou bien complètement autre chose ? Parmi tout ce qu’on donne, on ne choisit pas ce que les autres prennent.


Ce vendredi soir, je me souviens de toutes les fois où j’ai reniflé dans ma manche parce qu’il m’a fallu couper un texte trop long. Maintenant, la sans coeur qu’on voue aux gémonies pour un texte, génial forcément génial, à raccourcir, c’est moi. Eh oui, c’est ça le constat qui bouscule ! Dès le moment où mes premiers collègues, tous beaucoup plus âgés que moi, qui m’ont connue stagiaire, se sont retirés du métier, je n’ai plus été  » la petite « . Le départ d’un confrère qui vous a précédé vous fait grimper un échelon de la pyramide. Et vous vous rendez compte qu’un jour, plus personne n’aura vécu les mêmes temps héroïques que vous (racontez que vous avez écrit vos premiers articles à la machine et on vous demandera si vous veniez travailler à dos de dinosaure !). Vous vous rendez compte que plus personne ne vous aura connu jeune tel que vous vous voyez encore dans votre miroir.


Au moment où je m’apprête à poser le point final, j’espère que je n’ai pas laissé de faute (... et Christine verrait ça !). Allez, voilà bien le signe qu’on reste toute sa vie le petit jeune qu’on a été !

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