Troubles bipolaires : deux extrêmes qui font mal

Gros plan sur une maladie aux deux visages...

Contenu :

La phase haute : le signe de la maladie
Plus de bipolaires que d’Alzheimer
Des causes génétiques, mais pas seulement...
Dix ans pour un diagnostic
Une approche pluridisciplinaire
Soutenir aussi les proches

Vous débordez d’ énergie, ce matin ? Alors que la semaine dernière, c’était plutôt le petit coup de blues ? Nous connaissons tous des variations de l’humeur : la plupart du temps, elles sont normales.

Chez les bipolaires, ces variations dépassent les frontières du  » normal « . La phase haute peut être accompagnée de délires et d’hallucinations, d’un sentiment de toutepuissance, qui peuvent conduire loin... Et le  » coup de blues  » est une vraie dépression.

La phase haute : le signe de la maladie

Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur, caractérisé par la présence d’au moins une phase  » haute « . Le plus souvent, le patient bipolaire connaît trois phases différentes, qui alternent en cycles plus ou moins longs, contrastant avec des périodes où l’humeur est stable : une phase maniaque modérée, dite  » hypomane « , une phase maniaque intense, et une phase basse, la dépression.

 » Prenons l’exemple d’une échelle imaginaire graduée de 0 à 100, avec une humeur normale située à 50, explique Sabine Martens, infirmière en santé mentale. Habituellement, notre humeur oscille entre 40 et 60, entre le  » coup de blues « , à 40, et le sentiment d’être en pleine forme, à 60. Nous avons, dans le cerveau, des mécanismes régulateurs de l’humeur, qui l’empêchent de monter trop haut ou de descendre trop bas. Mais chez les patients bipolaires, ces mécanismes sont dysfonctionnels. Dès lors, l’humeur peut monter jusqu’à 70, par exemple, dans une phase hypomane, jusqu’à 90 ou 100 dans une phase maniaque, et descendre jusqu’à 0 dans une phase dépressive.  »

Sabine Martens a de nombreuses années d’expérience avec les patients bipolaires et leur famille.  » En phase hypomane, le patient se sent dynamique, créatif, il a des projets, un sentiment d’euphorie, mais il est également irritable, impatient, explique-t-elle. Il n’est pas dans son état normal, mais il reste gérable. En phase maniaque, par contre, la maladie est beaucoup plus spectaculaire. Le patient doit être hospitalisé, le plus souvent à la demande de son entourage, de son médecin, ou à celle du parquet, s’il met en danger sa sécurité ou celle des autres.

Une de nos patientes, par exemple, partie à Amsterdam en voiture, n’a plus retrouvé celle-ci et est rentrée à Bruxelles à pied ! Beaucoup font des dépenses inconsidérées, ou se sentent investis d’une mission divine... On constate aussi une augmentation de la communicabilité : parler, écrire, envoyer des e-mails, téléphoner... Si l’une de vos connaissances est en état maniaque, laissez votre GSM loin de vous, la nuit, quitte à trouver le lendemain une dizaine d’appels en absence, passés entre 2 heures et 4 heures du matin ! En phase basse, on trouve les symptômes classiques de la dépression : perte de plaisir, ralentissement de la parole et de la pensée, etc.  »

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Plus de bipolaires que d’Alzheimer

Combien y a-t-il de patients bipolaires en Belgique ?  » Il n’y a aucun chiffre pour notre pays, explique le Dr Daniel Souery, psychiatre à la Clinique des troubles de l’humeur, à l’hôpital Erasme, à Bruxelles. Mais en extrapolant à partir d’études américaines ou européennes, nous pouvons dire que nous avons près de 2 % de patients bipolaires de type I (état maniaque + dépression), et environ 4 % de bipolaires de type II (état hypomane + dépression). C’est beaucoup ! A titre de comparaison, environ 1 % de la population souffre de la maladie d’Alzheimer. « 

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Des causes génétiques, mais pas seulement...

Contrairement à la dépression, qui touche davantage les femmes, le trouble bipolaire concerne les deux sexes dans les mêmes proportions. Comment survient la maladie ?  » Il y a deux pics d’apparition des premiers symptômes, précise le Dr Souery. Le premier vers la fin de l’adolescence ou le début de l’âge adulte, et le deuxième plutôt vers 30-35 ans. Mais la maladie peut aussi survenir à d’autres moments, vers 60 ou 65 ans, par exemple. Tout changement de vie peut devenir un facteur de stress, déclencheur du trouble. Il en est sans doute ainsi de la ménopause ou de l’arrivée de la pension.  »

Les causes de la maladie sont encore mal connues.  » L’hypothèse la plus acceptée est une interaction entre des facteurs génétiques ou biologiques (anomalies au niveau des neurotransmetteurs et du métabolisme de certaines hormones, par exemple) et environnementaux (stress, traumatisme précoce, difficultés financières, familiales...). Il y a des familles de bipolaires, c’est certain. Ce bagage héréditaire confère une vulnérabilité, sans pour autant que le sujet développe la maladie. Des recherches sont en cours, mais aucun gène n’a été identifié pour le moment. « 

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Dix ans pour un diagnostic

Mal connu du public, le trouble bipolaire l’est également... des médecins. D’où la difficulté d’obtenir un diagnostic exact : on considère qu’il faut dix ans, en moyenne, pour que la maladie soit identifiée chez un patient.

 » Des premiers symptômes au diagnostic, c’est un parcours du combattant pour le patient, souligne le Dr Souery. S’il est en phase basse lorsqu’il va chez son médecin, celui-ci prescrira des antidépresseurs, ne voyant que la dépression. Non seulement le traitement ne sera pas adéquat, mais il risquera d’aggraver la maladie. Les médecins doivent être mieux informés : ils n’ont pas le réflexe de penser aux troubles bipolaires, d’élargir leur recherche en posant des questions, pour essayer de trouver des symptômes de phase haute, même s’ils datent de plusieurs mois. Le trouble bipolaire de type II peut, par exemple, passer pour une longue dépression, car la phase hypomane n’est pas facile à reconnaître. « 

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Une approche pluridisciplinaire

Depuis une dizaine d’années, les troubles bipolaires font l’objet d’une prise en charge pluridisciplinaire, au cas par cas, associant un traitement médicamenteux, une psychothérapie individuelle ou familiale, et une psychoéducation, qui apprend au patient et à son entourage à mieux gérer la maladie au quotidien.

 » Parmi les médicaments, il y a d’abord les stabilisateurs de l’humeur, comme le lithium, explique le Dr Souery. Ils permettent de diminuer l’intensité et la fréquence des crises. Mais ils ne suffisent pas : le médecin prescrira aussi des antidépresseurs en cas de dépression sévère, des neuroleptiques pour une phase maniaque, ou des benzodiazépines, pour des troubles anxieux. Ces médicaments, pour certains, ne sont pas sans effets secondaires, mais pour le moment, nous n’avons que cela...  »

Le projet de psychoéducation, qui a démarré en 2000 à l’Hôpital Erasme, sous la houlette de Sabine Martens et du Dr Souery, s’adresse aux patients et à leurs proches, pour les aider à mieux vivre et comprendre la maladie.  » Nous avons deux groupes, explique Sabine Martens : l’un pour les patients, et l’autre pour les proches, mais toujours avec les soignants. Une fois par semaine, les deux groupes, chacun de leur côté, reçoivent la même information : les thèmes abordés sont l’hygiène de vie (sommeil régulier, non consommation d’alcool, etc.), la gestion du stress (un facteur déclenchant), l’information sur la maladie, etc. Mais ces groupes sont aussi des lieux d’échange : entre les malades, qui constatent qu’ils ne sont pas seuls à vivre le trouble, et entre proches également, sans la présence du malade, ce qui leur permet de s’exprimer plus facilement. En effet, les proches vivent aussi une situation difficile.  »

Se familiariser avec la maladie, c’est aussi arriver à reconnaître les signes précurseurs d’une crise (moins dormir, dépenser davantage...) pour permettre une prise en charge rapide et limiter la gravité de la crise.  » A mesure que les crises surviennent, la personne est fragilisée, et de nouvelles crises sont susceptibles d’apparaître. Les facteurs extérieurs ont alors de plus en plus d’importance sur l’humeur de la personne, c’est un cercle vicieux. D’où l’intérêt d’une prise en charge le plus tôt possible.  »

Une fois la maladie déclarée, elle accompagnera le patient tout au long de sa vie.  » Même stabilisé depuis des mois ou des années, insiste le Dr Souery, le patient doit continuer à prendre ses médicaments. Certains sont tentés d’arrêter. Le plus souvent, après deux ou trois mois, c’est la rechute. « 

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Soutenir aussi les proches

Pour les patients, la maladie peut être synonyme de solitude. Pourtant, le rôle des proches est essentiel, et le monde de la santé mentale tente désormais de les intégrer dans la gestion de la maladie.

 » Le taux de divorce est élevé chez les bipolaires, constate Sabine Martens. L’entourage du malade peut en effet connaître un sentiment de lassitude...  »

L’entourage a besoin de soutien...  » Il y a 30 ou 40 ans, les bipolaires vivaient en institution, rappelle le Dr Souery. Cela a changé, mais les proches ne sont pas préparés à gérer le quotidien. Pourtant, nous avons besoin d’eux, au niveau du diagnostic, ou pour surveiller le traitement, pour détecter des signes de rechute, etc.  »

Petit à petit, des groupes d’entraide pour les patients et leurs proches voient le jour. En Flandre, une association forme des binômes, formés d’un patient et d’un volontaire, le  » buddy « , pour briser la solitude des malades. Mais ces initiatives sont encore peu nombreuses.  » Et pourtant, elles apportent un grand réconfort, affirme Pascale Fransolet, du groupe d’entraide Le Funambule. Lors d’une réunion, nous sommes entre nous, il n’y a pas le regard stigmatisant de l’autre, pas de jugement. Nous prenons conscience que d’autres vivent des choses semblables, ça aide.  »

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Plus d’info :

  • Similes
    Association de soutien pour les malades mentaux et leur famille
    Fédération des associations Similes francophones asbl
    rue Malibran, 39 1050 Bruxelles, Tél : 02 644 44 04,
    www.similesbruxelles.be, email : federation@similes.org
  • Le Funambule
    Groupe d’entraide pour bipolaires et leur entourage
    clos des Frères Lumière, 4, bte 3 1090 Bruxelles, Tél : 02 345 53 31, email :
    lefunambulebxl@yahoo.fr
  • Le Balancier
    Centre Hospitalier psychiatrique de Liège
    rue Professeur Mahaim, 84 4000 Liège , Tél : 04 254 78 56, email :
    cellule.bipolaire@chp.be

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