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Tourisme médical: Moins cher, mais vraiment sûr ?

Implants dentaires en Hongrie, correction de la myopie au laser à Istanbul, voyage all-in pour faire enlever ces disgracieuses poignées d’amour... Le tourisme médical est un business en plein boom qui séduit de plus en plus de Belges.

Ces dernières années, quelques pays se sont construit une réputation en matière de soins médicaux. A chacun son domaine : la Hongrie est devenue l’eldorado des soins dentaires, la Turquie s’est spécialisée dans le traitement au laser des problèmes de vision et dans certaines interventions esthétiques comme la transplantation capillaire tandis que la Thaïlande se présente comme la championne des liftings. Si on considère le succès des agences de voyages  » médicales « , le tourisme médical fait de plus en plus d’adeptes. « Nous proposons des voyages avec un petit plus« , sourit Ivann Vermeer, qui a lui-même succombé aux sirènes turques pour une transplantation capillaire. Aujourd’hui, il dirige Esthetic Airlines, un bureau conseil en chirurgie esthétique – transplantation capillaire et implantation de barbe, traitements des yeux au laser et reconstruction dentaire – qui travaille avec l’Aesthetic Center, une clinique privée certifiée d’Istanbul.

Un saut dans l’inconnu

« Quand j’ai franchi le pas il y a quatre ans, c’était un saut dans l’inconnu, raconte Ivann Vermeer. J’ai dû moi-même faire le tri mais l’expérience a été bien plus positive que je ne l’avais imaginé, notamment au niveau des prix : à peine un tiers de ce qui nous est réclamé ici. Et quand on m’a proposé de devenir intermédiaire, je n’ai pas hésité. Nous opérons exclusivement en tant que bureau conseil et ne sommes donc ni une agence de voyage ni un centre médical. Il est important que les gens puissent s’adresser à des établissements sérieux tant il est vrai qu’il en existe de peu scrupuleux. Les chirurgiens et dentistes turcs de la clinique sont tout aussi qualifiés que les nôtres et disposent d’un matériel similaire. On a accès à leurs diplômes, contrôlés et certifiés par les autorités turques compétentes. Mais les prix pratiqués – y compris le voyage et l’hébergement – sont très compétitifs par rapport à ceux des centres médicaux européens. » Un coup d’oeil sur les sites de quelques bureaux conseil suffit à se rendre compte que l’intérêt financier est à géométrie variable. Si pour certains traitements il peut représenter jusqu’à 50%, l’écart est moindre pour d’autres.

Mode d’emploi

« A notre demande, les chirurgiens et les dentistes turcs de l’Aesthetic Center viennent en Belgique tous les trois mois, pour une séance d’information et une première consultation gratuite. Ils procèdent également à des examens préliminaires afin de déterminer si le patient est admissible au traitement souhaité. Car ce qui n’est pas possible en Belgique ne l’est pas non plus dans notre clinique ! Les personnes qui, après cette première consultation, font une demande de traitement, sont prises en charge par nos conseillers pour finaliser le scénario : séjour à l’hôpital, formalités et intervention. Avant toute réservation, nous demandons la signature d’un formulaire de consentement. Si souhaité, nous travaillons avec une agence de voyage qui se charge de réserver les vols et l’hôtel. Comme nos chirurgiens viennent régulièrement à Anvers, les patients peuvent également solliciter une consultation de suivi. »

Une bonne préparation est indispensable

Les experts sont unanimes : avant de vous embarquer, préparez soigneusement votre  » voyage  » médical.  » Informez-vous de tous les détails, conseille Christian Horemans, expert Affaires internationales à l’Union nationale des Mutualités Libres. Contactez votre mutuelle ou votre assurance pour savoir si l’opération ou le traitement sont remboursables et dans quelles conditions. Au sein des pays de l’UE, plus l’Islande, le Liechtenstein, la Suisse et la Norvège, vous êtes assuré de la qualité des soins. Etant donné qu’il existe une reconnaissance mutuelle des diplômes, les médecins polonais ou les dentistes hongrois sont tout aussi qualifiés que leurs homologues belges. »

Les forums de patients

L’UE dispose d’un circuit de points de contact nationaux qui fournissent, par pays, des informations sur la qualité des soins et signalent les problèmes posés par certains dispensateurs de soins. « Dans la pratique, le système n’est pas (encore) totalement efficace, constatent les dr Debbaut et Philippe Lotin des mutualités chrétiennes. Il est préférable de s’adresser à des experts fiables qui se sont déjà fait soigner à l’étranger. Si tout s’est bien déroulé et qu’un prix correct leur a été facturé, vous pouvez être rassuré sur votre choix. »

Christian Horemans recommande néanmoins la prudence : « Hors UE, la qualité des soins n’est pas garantie et le patient est un peu livré à lui-même. En tant que mutuelle, nous sommes réticents aux traitements hors pays de l’UE. Si vous êtes décidé à y avoir recours malgré tout, informez-vous du mieux possible sachant qu’il existe peu de sources objectives et fiables. Les forums européens de patients où s’échangent informations et expériences peuvent être utiles, mais un contact direct l’est plus encore. Je pense que les médecins turcs, par exemple, fournissent des prestations de qualité mais le problème est que, de Belgique, nous n’avons aucune idée de qui travaille ou ne travaille pas selon les règles de l’art. » L’an dernier aux Pays-Bas, un organisme de voyages médicaux à l’étranger a été placé sous surveillance par les autorités pour organisation défaillante et niveau de soins médiocre.

Un bon conseil ne coûte rien

  • Informez-vous préalablement du type d’opération et de ce qu’elle recouvre précisément, vérifiez auprès de votre mutuelle s’il y a ou non intervention de sa part. Interrogez votre médecin ou votre dentiste sur l’opportunité de l’opération.
  • Prenez le temps de lire les témoignages d’autres patients. Evitez les témoignages publiés sur les sites commerciaux !
  • Vérifiez que l’hôpital étranger soit certifié et qu’il applique réellement les normes internationales de qualité ISO. JCI et ABMS (américain) sont d’autres labels connus. Attention, tous les labels ne sont pas aussi transparents.
  • Contrôlez sur internet les diplômes des médecins et s’ils sont éventuellement membres d’un organisme international.
  • Pour la chirurgie plastique, la liste de contrôle de sécurité de l’Isaps (Société internationale de chirurgie esthétique et plastique) est un excellent outil : www.isaps.org/medical-travel-guide/plastic-surgery-tourists. Ce site vous permet également de vérifier quels médecins sont affiliés. Tous les médecins affiliés font l’objet d’un suivi rigoureux.
  • Exigez un devis de tous les frais qui pourraient vous être imputés.
  • Informez-vous préalablement de la langue dans laquelle se passera la communication, aussi bien avec les services de l’hôpital qu’avec le médecin.

Les complications

« Dès que survient un problème, nous prenons contact au nom de nos membres avec l’établissement de soins à l’étranger, mais la communication s’avère souvent difficile, précise le docteur Debbaut. En outre, les expériences vécues par nos membres dans ces hôpitaux ne sont pas enregistrées. C’est pourquoi nous restons très prudents. En même temps, nous n’avons pas connaissance de beaucoup de problèmes ou de plaintes. Il existe un circuit de plusieurs grandes villes européennes au départ desquelles les patients sont orientés vers des pays comme la Turquie. Ce circuit permet aux patients d’obtenir une consultation avant le départ et un suivi après l’intervention. Néanmoins, ce type de consultation n’a rien à voir avec celles que l’on connaît dans nos hôpitaux. La conclusion s’impose : les risques sont plus importants. Car, sans remettre en cause la qualité des soins ni la compétence des médecins étrangers, des complications peuvent toujours survenir, exactement comme chez nous. La différence est, qu’en Belgique, le suivi médical est immédiat et que vous avez davantage de garanties que le problème soit correctement interprété. « 

Les soins dentaires

Certains traitements esthétiques bénéficient d’un remboursement (limité) mais d’autres pas du tout. La chirurgie oculaire réfractive (au laser) ne l’est actuellement pas. Via l’assurance maladie obligatoire, un remboursement limité est prévu pour certains soins dentaires (des prothèses bien spécifiques). « La libre tarification de nombreux soins dentaires fait exploser les prix chez nous, rendant des pays comme la Hongrie, la Pologne ou la Turquie nettement plus attractifs. Si vous vous rendez à l’étranger pour des soins remboursables en Belgique – certaines prothèses – ils vous seront effectivement remboursés moyennant la présentation de justificatifs valables. »

Mieux vaut aussi se montrer prudent en matière de tourisme à l’étranger pour une intervention dentaire de nature esthétique : « Le prix du matériel utilisé pour les prothèses et les implants peut varier du tout au tout : très bon marché pour le bas de gamme, hors de prix pour les métaux nobles ou la porcelaine avertit le Dr Debbaut. Bien évidemment, le matériel utilisé conditionne la qualité des soins. « 

Quel recours en cas d’erreur ?

Imaginons que votre nouvel implant provoque une inflammation ou que des problèmes surviennent après une chirurgie au laser. « En Belgique, on peut toujours compter sur le suivi médical et la médication ad hoc qui, le cas échéant, sont remboursés, analyse le dr Debbaut. « 

L’Inami confirme que tout préjudice suite à une intervention médicale peut donner lieu à réclamation et à réparation. « Les patients ont droit à un suivi dans le pays de l’assurance et à réparation en cas de préjudice causé par des soins médicaux. En cas de plaintes à l’encontre de dispensateurs de soins ou d’établissements de ces pays, il y a lieu de faire appel au point de contact national pour les soins de santé transfrontaliers (PCN) compétent pour le pays concerné. Toutes ces garanties ne jouent pas pour les soins médicaux pratiqués dans les autres pays. En cas de problèmes, des questions peuvent se poser, entre autres, sur la législation applicable, l’existence d’une clause d’assurance couvrant les traitements médicaux, etc. » En effet, quelles conséquences si une erreur est commise en Turquie ? « Je ne peux parler qu’au nom d’Aesthetic Center, précise Ivann Vermeer d’Esthetic Airlines. Les médecins turcs avec lesquels le centre travaille ont tous souscrit une assurance en responsabilité professionnelle et si un patient est légitimement insatisfait, la clinique prend les frais d’indemnisation/réparation à son compte. Ceci étant, ça ne s’est encore jamais produit en quatre ans. »

Notre enquête

Ces  » happy-ends  » ne sont-ils pas trop beaux pour être vrais ? Nous avons donc décidé d’enquêter, scrutant les forums de patients belges et étrangers, interrogeant organisations de consommateurs, spécialistes et médias. Nous avons également lancé des appels à témoin. A notre grande surprise, avouons-le, les retours ont quasiment tous été positifs. Mais, quand erreur il y a, elle est généralement (très) grave. « Les problèmes sont rares, mais certains sont très sérieux, remarque Ilse Claerhout, professeur d’ophtalmologie. J’ai ainsi reçu un patient qui, après une chirurgie au laser, était revenu en bus de nuit avec un petit flacon de gouttes pour les yeux. Ce ne sont évidemment pas des conditions d’hygiène acceptables après une telle intervention. Une infection s’est développée et, rentré chez lui, il était quasiment aveugle. Nous avons heureusement pu l’aider avec une greffe de la cornée. J’estime qu’il est parfaitement inconscient de combiner chirurgie oculaire au laser et city-trip. Après un traitement au laser, vous devez absolument éviter le soleil, la poussière et la natation. En Belgique, on conseille aux patients de bien se laver les mains avant de mettre les gouttes et de conserver le médicament au frais. En dehors des risques d’infection, j’ai également noté que les critères de sélection étaient beaucoup trop souples. La pression est plus grande là-bas pour accepter des patients qui ne sont pas admissibles au traitement. Avec pour conséquence des complications du type gonflements de la cornée que nous ne pouvons pas corriger a postériori. »

Les dentistes belges et la Société belge de chirurgie plastique affirment qu’il n’est pas toujours plus avantageux de se rendre à l’étranger. Car si des traitements réparateurs ultérieurs s’avèrent indispensables, le prix global peut fort augmenter. Plusieurs orthodontistes irlandais et britanniques – deux pays où le tourisme médical prospère – témoignent  » d’histoires horribles  » suite à des erreurs commises à l’étranger. « Je reçois beaucoup de patients qui souffrent d’ulcères chroniques à cause d’implants mal placés, souvent par-dessus une inflammation, déclare Anne O Donoghue du Trinity College Dublin dans The Independent. Dans les cas les plus dramatiques, il a fallu enlever la moitié de la mâchoire suite à une infection. Le plus souvent, les problèmes graves occasionnés par ces traitements bon marché surviennent bien plus tard, parfois quatre ou cinq ans après. Et comment ne pas évoquer la  » surconsommation « , c’est-à-dire la pose chez de nombreux patients de couronnes ou d’implants dont ils n’ont pas besoin. »

L’avenir

Les spécialistes sont unanimes : le phénomène du tourisme médical devrait s’amplifier. « Le changement fait partie du mouvement d’émancipation du consommateur et, sur le plan de sa santé aussi, il entend de plus en plus prendre les décisions lui-même » conclut le dr Debbaut.

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