Phobies : vivre avec ou se soigner ?

Avoir peur du noir, de l’eau, des oiseaux... au-delà du raisonnable, c’est le propre de la phobie. Aujourd’hui, il est possible de se soigner. Comment ça se passe ? Est-il nécessaire de le faire? Quel est le principe de la thérapie ?

Les petites bêtes ne mangent pas les grosses ! Voilà une phrase qui a le don d’irriter Pascale.  » Je sais que l’araignée que je vois dans mon jardin ne va ni me manger, ni me sauter dessus ! Mais c’est plus fort que moi : quand j’en vois une, je ne suis plus moi-même. Je tremble, je hurle, c’est un cauchemar... « 

Si son mari et ses enfants comprennent sa phobie, Pascale a parfois du mal, en-dehors de chez elle, à expliquer qu’elle ne réagit pas ainsi pour le plaisir d’attirer l’attention, et qu’elle peut difficilement faire autrement. Vivre avec sa phobie n’est pas toujours simple...

Simple peur ou réelle phobie ?

Imaginons : à la fin d’un pique-nique en forêt, vous découvrez un serpent lové dans votre panier. Entre l’effet de surprise et le fait que vous n’êtes pas trop sûr de faire la différence entre couleuvre et vipère, votre première réaction sera sans doute un mouvement d’effroi. Imaginons encore : vous marchez dans la rue, après une bonne averse, lorsque vous apercevez un ver de terre sur le trottoir. Vous vous arrêtez net, blême, et vous traversez la rue pour l’éviter... Est-ce bien raisonnable ? Il y a une différence entre ces deux situations : dans la première, il s’agit d’une peur bien compréhensible, alors que la deuxième décrit une phobie : une peur irrationnelle et excessive.

Difficile de savoir combien de personnes souffrent de phobies. On estime que 10 à 20 % de la population serait concerné. La phobie peut porter sur un objet (ou un animal) ou sur une situation.  » Certains  » objets  » (sang, serpents, chiffre 13...) ou situations (hauteur, obscurité...) vont, plus facilement que d’autres, susciter des phobies, explique Pierre Philippot, professeur de psychologie à l’Université de Louvain, mais on peut développer une phobie par rapport à n’importe quoi : ballons de baudruche, chevaux.... « 

Pour ne pas devoir vivre cette angoisse, un phobique fait tout pour ne pas se retrouver dans la situation redoutée (situation phobogène) : c’est l’  » évitement « . Si vous avez la phobie des vers de terre, vous n’allez certainement pas bêcher vos plates-bandes. Votre phobie, c’est l’avion ? Vous êtes prêt à parcourir des kilomètres en train ou en voiture, et vous faites une croix sur les plages de l’Ile Maurice...

Est-il nécessaire de se soigner ?

 » Il n’y a aucune obligation à se soigner, explique le Pr Philippot. Lorsque l’évitement de la situation ou de l’objet ne pose pas trop de problème, on peut vivre avec sa phobie. Par contre, si celle-ci devient un handicap dans la vie quotidienne, parce qu’elle limite votre fonctionnement, il peut être utile de faire une thérapie « .

Si votre phobie porte sur les voyages en avion et que votre conjoint rêve d’horizons lointains, ou que vos enfants partent vivre au bout du monde, la phobie sera source de tensions.

Inutile de s’inquiéter à l’idée de vivre avec sa phobie.  » Elle n’est pas nécessairement le symptôme d’un mal plus profond dont il faudrait absolument se préoccuper « , rassure le Professeur Philippot.

Comment développe-t-on une phobie ?

Les phobies peuvent apparaître dès l’enfance.  » Elles sont en général acquises, au plus tard, au début de l’âge adulte. Au départ, il y a un  » apprentissage « . C’est une  » fausse alerte  » : quelque chose dans votre environnement vous donne le sentiment d’une menace, d’un danger. On associe alors un état émotionnel (peur, sentiment de menace) à un stimulus (objet ou situation), qui devient un stimulus phobique. « 

Une fois acquis, cet apprentissage ne s’effacera pas.  » Mais en thérapie, le patient fera de nouveaux apprentissages qui tenteront de diminuer l’impact du premier. « 

Est-il nécessaire pour le patient de savoir comment est née la phobie, pour se soigner ?  » Non, ce n’est pas utile pour la thérapie. D’ailleurs, souvent, le patient a perdu la trace de cet apprentissage initial. « 

Quelle thérapie choisir ?

Pour Pierre Philippot, il n’est pas utile de faire référence à une école thérapeutique particulière.  » Pour moi, ce débat appartient au passé. Je préfère parler d’  » intervention psychologique « . Oui, il y a un héritage prépondérant des thérapies comportementales. Mais on trouve aussi des idées issues des thérapies familiales, de la psychanalyse, etc. Pour les phobies, l’approche la plus rapide, la plus efficace, est de type  » thérapie cognitive et comportementale « . C’est ce que recommande la recherche. Ce qui ne veut pas dire que d’autres approches ne soient pas efficaces, mais la plupart des professionnels préféreront celle-ci. « 

Reste à choisir son thérapeute. Pas si simple, dans notre pays, où le statut de psychothérapeute n’est pas protégé.  » Tout le monde peut se déclarer psychothérapeute. Il est donc important de choisir quelqu’un qui a une formation universitaire (psychologue, psychiatre). Mais le diplôme ne fait pas tout : il faut aussi une certaine reconnaissance par une société professionnelle. Ces sociétés ont un annuaire de thérapeutes auxquels elles reconnaissent une formation et une pratique suffisantes. « 

Les points-clés de la thérapie ?

La thérapie n’a pas pour but de faire disparaître la phobie, puisque l’apprentissage est indélébile, mais d’apprendre au patient à tolérer et accepter son anxiété.  » La plupart des difficultés du patient sont dues au fait qu’il essaye désespérément d’éviter des situations difficilement évitables. Le principe de la thérapie est l’exposition : au lieu de fuir la situation phobogène, il va falloir apprendre, pas à pas, à l’affronter. « 

Rien de brutal dans l’idée d’exposition. Tout se fait progressivement.  » Si vous avez une phobie des pigeons, on peut vous demander de regarder des photos de pigeons. Mais si c’est au-dessus de vos forces, on vous demandera de tenir un livre dans lequel vous savez qu’il y a des photos de pigeons. Puis de regarder une photo de loin et de vous en rapprocher. « 

Le thérapeute aide alors le patient à développer des compétences pour arriver à garder un certain état de relaxation.  » On fait des exercices respiratoires, de détente musculaire... Le patient aura toujours une appréhension des pigeons, mais plutôt que de les fuir, il saura qu’il a la capacité de rester dans cette situation. « 

Pourrai-je faire face sans mon thérapeute ?

Le maître-mot, ici, c’est le  » con-texte « . Si vous avez la phobie des ascenseurs, et que vous parvenez, grâce à la thérapie, à prendre l’ascenseur avec lequel vous avez fait les exercices d’exposition, avec le thérapeute, que se passera-t-il dans un autre ascenseur, et sans thérapeute ?  » Effectivement, le nouvel apprentissage ne doit pas être lié à un contexte unique, car vous auriez sans doute à nouveau des difficultés dans d’autres circonstances. Il faut généraliser : prenez l’ascenseur avec des personnes différentes, utilisez des ascenseurs différents, etc.  » Cette diversité est nécessaire pour un déconditionnement maximal de la peur.

Bon à savoir : les médicaments peuvent constituer un contexte.  » Des études ont récemment montré que si, pendant la psychothérapie, vous prenez des médicaments dans le but de masquer les symptômes anxieux, cela constitue un contexte dans lequel vous faites votre nouvel apprentissage. Donc, à l’arrêt du traitement, il y aura un petit travail supplémentaire à faire, pour garantir que l’apprentissage fonctionne aussi dans ce nouveau contexte (sans médicaments). Des études ont montré que chez des personnes prenant un médicament-placebo pendant la psychothérapie, les symptômes de la phobie réapparaissaient à l’arrêt du traitement ! « 

Peut-on guérir définitivement ?

 » C’est rare, mais il y a toujours une possibilité de réapparition de l’apprentissage antérieur. La thérapie donne des ressources pour apprivoiser la peur. Dans la plupart des cas, celle-ci devient négligeable. Si vous aviez une phobie des chiens, vous n’allez pas vous mettre à les aimer, mais ce ne sera plus, comme avant, un handicap. Par contre, si vous connaissez par la suite une période de fatigue, de fragilisation, que vous avez des soucis, etc., cette peur peut refaire surface. Le danger sera de reprendre l’ancienne stratégie d’évitement : la phobie pourrait alors réapparaître.  » Tous les progrès réalisés pendant la thérapie ne sont pas perdus pour autant.  » Il suffit que le patient revienne nous voir deux ou trois fois, et il sera à nouveau sur les rails. « 

Combien de temps dure la thérapie ?

C’est une question que se posent beaucoup de phobiques. Se soigner, pourquoi pas, mais qu’est-ce que cela sous-entend ?  » C’est bien sûr très difficile de savoir à l’avance, insiste Pierre Philippot. En moyenne, cela peut prendre 8 à 12 séances. Mais ce n’est qu’un ordre de grandeur. En effet, il n’est pas rare qu’il y ait d’autres problèmes sous-jacents et que la thérapie soit donc plus longue. Parfois, une seule séance est nécessaire : le fait d’expliquer ce qu’est la phobie suffit à rassurer. « 

Thérapie individuelle ou de groupe ?

Peut-on choisir entre une thérapie individuelle ou de groupe ?  » Le groupe a des avantages, explique Pierre Philippot. C’est motivant pour le patient, et déstigmatisant : on n’est pas seul face à sa phobie. Il est donc possible d’avoir soit une thérapie individuelle, soit une thérapie de groupe, ou encore un suivi individuel avec passage au groupe au moment des stratégies d’exposition. A ce moment-là, on s’expose à sa pire crainte. C’est difficile ! Le fait d’être en groupe constitue doncplutôt une aide. « 

Pour beaucoup de patients, la phobie est un problème personnel, intime, et le suivi individuel semble plus rassurant.  » Mais dans mon expérience, le groupe permet de progresser plus vite : ce que dit un participant, qui a le même problème que vous, a souvent plus d’impact à vos yeux que si cela vient du thérapeute. « 

Que penser de l’exposition par réalité virtuelle ?

Grâce aux progrès de la technologie, un nouveau mode de traitement est en train de se développer : la thérapie par réalité virtuelle. Le Canada est pionnier dans ce domaine. Un visiocasque sur la tête, le patient visualise un décor animé, semblable à un jeu vidéo, dans lequel se déplace, par exemple, une petite araignée... Le thérapeute peut, en fonction des réactions du patient, faire avancer l’araignée, ou la tenir à distance, etc. Gadget technologique, ou réel outil thérapeutique ?

 » Il faut distinguer la thérapie et la recherche, explique Pierre Philippot. Pour la thérapie, il est bien sûr plus facile, avec le visiocasque, de mettre le patient dans une situation phobogène souvent difficile à reproduire dans le cabinet du thérapeute ou dans la vie quotidienne. Plus besoin de courir après des pigeons dans la rue... Autre avantage, le contrôle de l’environnement : dans la nature, vous ne pouvez pas savoir comment vont réagir les pigeons à votre approche. Par contre, avec la réalité virtuelle, le thérapeute peut paramétrer précisément ce qui va se passer. Mais si on développe cette forme de thérapie, c’est avant tout pour les besoins de la recherche : avec la réalité virtuelle, on a un contrôle parfait de la situation, ce qui permet de faire des études plus rigoureuses. On peut plus facilement prendre les mesures physiologiques du patient (rythme cardiaque, tension musculaire...), ou mesurer ses mouvements oculaires. Ensuite, on exploite ces données, qui permettent d’objectiver les réponses anxieuses du patient et leur évolution dans le temps : on peut constater la diminution de c es réactions d’anxiété au cours des différentes expositions. « 

Mais le patient a-t-il réellement peur de son pigeon virtuel ? Et s’il n’en a effectivement plus peur, comment va-t-il réagir face à un véritable volatile ?  » Des études montrent que cette thérapie fonctionne. On craignait qu’on n’arrive pas bien à transférer ces apprentissages dans la vie réelle, mais ce n’est pas le cas « .

Cette technique n’est cependant pas encore à la portée de toutes les phobies. La plupart des  » environnements virtuels  » n’ont pas encore vu le jour.  » Pour le moment, il existe des programmes pour la phobie de l’avion, la peur du vide, les phobies sociales... D’autres vont-ils se développer ? La question est de savoir si avec de bons programmes, on est plus efficace qu’en utilisant un environnement naturel. Et ce n’est pas encore établi. « 

L’hypnose, outil thérapeutique ?

Peut-on utiliser l’hypnose pour soigner une phobie ?  » L’hypnose peut, dans le cadre d’une thérapie de type cognitivo-comportementale, constituer un outil supplémentaire pour le thérapeute, estime Jacques Marique, psychothérapeute à l’Institut de nouvelle hypnose et au Planning familial.

L’hypnose permet au patient d’amplifier sa représentation de ce qui lui fait peur, de le rendre plus réaliste. C’est l’utilisation maximale de l’imagination : on augmente la concentration du patient autour de ce qui lui fait peur, pour lui permettre de l’affronter dans le confort du cabinet du thérapeute. Pour ceci, on imagine les odeurs, les bruits, les sensations... Par ailleurs, le fait d’avoir un  » affrontement  » plus réaliste raccourcit le temps de la thérapie : on affronte sa peur plus vite, plus intensément. Et on est plus détendu pour faire face à la situation phobogène. « 

Phobie de l’avion : deux jours pour vaincre sa peur

Impossible de vous faire monter dans un avion ? Même en vous faisant miroiter des vacances idylliques à l’arrivée ? Depuis peu, en Belgique, une formation existe pour vous aider à surmonter votre angoisse.

Depuis 2006, Brussels Airlines, avec l’université de Gand, propose une formation de deux jours pour les phobiques de l’avion.

 » Cette formation s’adresse aux gens qui ont une vraie phobie, pas un simple inconfort, précise Guy Sydor, psychologue et psychothérapeute, chargé de l’accompagnement psychologique des participants. « 

Les candidats à la formation sont d’abord soumis à un bilan psychologique.  » Nous voulons vérifier qu’il s’agit d’un problème de phobie de l’avion, et pas d’un autre problème qui pourrait être une contre-indication pour ce programme, comme l’attaque de panique avec agoraphobie, qui est un problème plus général que la phobie de l’avion. Cela n’aurait pas de sens de vouloir traiter seulement cette dernière. « 

Jour 1 : on s’informe

La première journée regroupe au maximum 12 personnes. Le matin démarre avec un cours théorique donné par un pilote de Brussels Airlines. Objectif ? Informer, pour répondre aux questions, qui, sans réponse, sont susceptibles de provoquer la peur. Chiffres et statistiques à l’appui, tout y passe : aérodynamique, météorologie, procédures au sol, entretien des avions...

A midi, les participants visitent les avions au sol, dans les hangars.  » Ils ont accès à ce qu’on ne voit pas d’habitude : cockpit, soutes, circuits de sécurité...  » L’après-midi est con-sacré à une présentation théorique psychologique, axée sur la peur.

Jour 2 : on décolle

Le matin du deuxième jour, on continue à parler  » psy « , pour identifier les stratégies d’évitement des participants.  » Elles ont pour but de faire disparaître la peur, mais ne font que la maintenir. C’est, par exemple, le fait de demander à votre conjoint de vous accompagner : oui, cela rassure, à court terme, mais ça ne règle pas le problème de savoir s’il y a un réel danger! D’autres exemples ? Ne pas regarder par le hublot parce que ça fait peur, ne pas se lever de son siège... Il est nécessaire d’identifier ces mécanismes pour les supprimer. Ils ne font que vous focaliser sur la gestion de la peur, mais vous ne vous demandez pas si celle-ci est justifiée. Pour cela, il faut la confronter. Les stratégies de confrontation (regarder par le hublot, se lever..) sont donc aussi variées que les stratégies d’évitement. « 

Puis c’est le grand saut : destination Prague, Milan, Berlin... En vrai. Par groupe de trois, accompagnés d’un psychologue, les participants embarquent.  » On s’installe à l’arrière, c’est là qu’on ressent le plus les mouvements de l’avion. Les participants sont anxieux... On identifie les raisons de leur anxiété, les stratégies d’évitement. Une fois en altitude de croisière, nous pouvons circuler dans l’avion. On en profite pour mettre en place des exercices d’exposition (confrontation). « 

Une épreuve ? Sans doute, mais qui semble porter ses fruits. Pour la majorité des participants, le plus dur est fait.  » D’ailleurs, pendant le vol retour, beaucoup s’endorment ! « 

Terminée, la phobie de l’avion ?  » Le but n’est pas de la faire disparaître en deux jours, mais de donner une méthode pour apprivoiser la peur. Il est nécessaire, ensuite, de voler relativement rapidement pour ne pas perdre ces acquis. N’attendez pas six mois ! N’hésitez pas à profiter des vols charters! « 

Et pourquoi pas un voyage virtuel, sous le visiocasque ?  » Selon moi, le vol virtuel n’a pas le même effet qu’un vol réel. Oui, il y a des avantages à utiliser la réalité virtuelle, mais je pense que, pour vraiment régler le problème et identifier les stratégies d’évitement, on doit passer par une situation réelle. Avec un visiocasque, vous n’allez pas regarder par le hublot, ça n’a aucun sens ! Etre dans le réel est le meilleur moyen d’évaluer les comportements dysfonctionnels mis en place. « 

En pratique : La formation coûte 999 euro. Infos : www.volersanspeur.org tél. 02 723 85 52

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