© Getty Images/iStockphoto

La mauvaise haleine, le dernier tabou

La mauvaise haleine est un phénomène bénin tant qu’il reste passager. Lorsqu’il devient constant, par contre, il ne doit pas être ignoré.

La mauvaise haleine, c’est quoi ?

La mauvaise haleine, aussi appelée « halitose », est constituée de composés sulfurés volatiles et de molécules aux noms parfois éloquents : cadavérine, putrescine... « On croit souvent, à tort, que l’origine de cette pathologie est gastrique, commente le Professeur Michel Brex, chef du service de parodontologie aux cliniques Saint-Luc à Bruxelles. En réalité, dans l’immense majorité des cas – soit plus de 95% des cas – ce problème trouve son origine dans la cavité buccale. Ce sont les bactéries présentes dans la plaque dentaire qui produisent ces composés. »

Ces bactéries prolifèrent en cas de gingivite (inflammation des gencives), de parodontite (inflammation de tous les tissus soutenant les dents, notamment l’os alvéolaire) ou de carie non soignée. Très prosaïquement, on peut donc dire qu’elles se complaisent dans les bouches où il existe une déficience au niveau du brossage ou du nettoyage interdentaire depuis des années. « Attention : cela ne veut pas dire que les personnes concernées par l’halitose ne se brossent pas les dents !, précise tout de suite Michel Brecx. Mais plutôt que leur technique de brossage n’est pas efficace, ou qu’ils ne nettoient pas correctement les espaces entre les dents. »

Beaucoup plus rarement, l’halitose peut aussi trouver son origine dans la sphère ORL : les bactéries peuvent ainsi proliférer dans la gorge en cas de sinusite chronique ou dans les amygdales. Enfin, avec une fréquence vraiment anecdotique, le problème peut découler de problèmes gastriques, d’une radiothérapie à proximité des glandes salivaires ou, plus grave, d’un diabète ou d’un cancer de la bouche.

L’halitose, une maladie bénigne ?

Indirectement, non : l’halitose est généralement révélatrice d’une gingivite ou d’une parodontite plus ou moins graves. A terme, cela peut déboucher sur la chute des dents. De plus, la parodontite et la gingivite sont des inflammations chroniques de bas grade : des études scientifiques prouvent que cela constitue un facteur de risque favorisant les maladies cardiovasculaires, le diabète et d’éventuelles complications de grossesse. Raison pour laquelle il est important de traiter ce trouble et d’avertir – avec diplomatie, rappelons-le – les personnes qui en souffrent.

Est-ce une pathologie fréquente ?

Oui ! Lorsqu’elle est passagère, c’est même un phénomène physiologique normal : il n’y a que dans les contes de fée ou les films hollywoodiens qu’on se réveille le matin avec une haleine mentholée ! « Durant la nuit, nous ne salivons pas et ce déficit de salive permet aux bactéries de se développer, explique Selena Toma, parodontologue aux cliniques Saint-Luc. Il n’y a lieu de s’inquiéter que si la mauvaise haleine persiste au-delà du réveil, après le déjeuner et le brossage des dents... « 

Et même là, en cas de « vraie » halitose, il y a tout lieu de penser que le problème est très courant :  » Toute personne qui se brosse mal les dents aura tôt ou tard une gingivite. Or, on en retrouve chez 98 à 99% de l’humanité, 30% de celle-ci souffre même de parodontite ! » Cela ne veut pas dire que 99% de l’humanité souffre d’halitose problématique mais, au moins, les personnes concernées peuvent se rassurer : elles sont loin d’être les seules !

Les comportements qui accentuent l’halitose

Cessez d’accuser l’ail et les oignons dont l’impact sur l’haleine et, au pire, temporaire: l’aliment qui favorise le plus l’halitose est... la viande ! Les composés malodorants émis par les bactéries proviennent en majeure partie de la dégradation des protéines. Raison pour laquelle les grands carnivores comme les lions ou les hyènes sont célèbres pour leur haleine fétide et insupportable. Par ailleurs, une alimentation très riche en produits lactés favorise le développement des levures et une consommation excessive de sucre acidifie la bouche : certains streptocoques adorent ça ! Vive l’alimentation équilibrée, donc...

En cas de régime hyperprotéiné, le corps puise de l’énergie en faisant fondre de la masse graisseuse : cela s’accompagne d’une libération de « déchets » dans l’organisme (cétose) qui sont exhalés. La mauvaise haleine est assurée. (Mais, dans ce cas-ci, limitée à la durée du régime).

Une consommation faible et irrégulière d’eau débouche sur une baisse de la salivation. Or, la salive possède de légères propriétés antibactériennes. Il est conseillé de boire au moins un verre d’eau toutes les heures. Dans un même registre, n’espacez pas trop vos repas, qui provoquent une salvation : si vous restez six heures sans rien manger, il y a fort à parier que cela se sentira !

Certains bains de bouche contiennent de l’alcool, ce qui peut entraîner un « effet rebond » de la mauvaise haleine : l’alcool détruit des bactéries mais, ensuite, dessèche la bouche, ce qui favorise le développement des petits organismes et, in fine, le retour de l’halitose. Mieux vaut opter pour des bains de bouche dont le principe actif est l’acétate ou le lactate de zinc.

Comment dire à quelqu’un qu’il souffre d’halitose ?

Si la personne concernée ne se rend pas compte qu’elle a mauvaise haleine, c’est aux proches de le lui signifier. C’est une chose très délicate à faire : l’halitose est un tabou et ceux qui sont conscients d’en être atteints souffrent beaucoup. Certains réduisent même leurs activités sociales, de peur d’incommoder leurs interlocuteurs. « Il n’est pas rare de voir les gens pleurer dans le fauteuil, lorsqu’ils viennent nous consulter... « , raconte Selena Toma.

Il faut donc dédiaboliser le sujet et agir avec diplomatie. « Il ne faut bien sûr pas dire directement : « Tu as mauvaise haleine ! », conseille Michel Brex, Il faut faire rentrer l’halitose dans le registre de la maladie plutôt que de la honte. Expliquer à la personne que, si elle a « de temps en temps » ce souci, c’est peut-être dû à un problème de gencives, lui conseiller d’aller consulter un parodontologue ou un dentiste. Aux yeux du patient, ce praticien aura plus de « légitimité » pour lui signifier l’halitose et, de plus, il se sentira directement pris en charge. » Il ne faut en tout cas pas hésiter à soulever le problème.

Peut-on souffrir d’halitose sans s’en rendre compte ?

Bien sûr ! L’halitose est une pathologie totalement indolore et qui évolue petit à petit, pendant des années. »Très souvent, les gens viennent nous consulter sur la demande d’un tiers, explique d’ailleurs Michel Brex. Euxmêmes ne se rendent pas compte du problème, car ils n’ont pas mal et ne perçoivent plus l’odeur : celle-ci se développe tellement lentement qu’ils y sont habitués, d’autant plus qu’ils y sont constamment exposés... « 

A contratio, il existe des halitophobiques, persuadés qu’ils exhalent une haleine malodorante alors qu’il n’en est rien. « Ils souffrent beaucoup alors que leur haleine n’a rien de problématique, on rentre presque dans le registre de la maladie psychiatrique. Il peut être intéressant pour ces gens de consulter un parodontologue, afin d’objectiver, via une machine, l’absence d’halitose. »

Comment se soigne l’halitose ?

Lors d’une consultation pour halitose chez un parodontologue, on commence par cibler les causes possibles du trouble et les facteurs aggravants (p. ex certains médicaments). Un bilan dentaire et parodontal vient généralement confirmer l’origine buccale du problème. Suit un test organoleptique, dans lequel le patient est invité à souffler en direction du praticien : celui-ci classe la mauvaise haleine selon différents critères, sur une échelle allant de 1 à 5. En cas d’halitose sévère, un appareil permet d’objectiver la quantité de composés soufrés.

Enfin, avant de subir un détartrage, le patient reçoit une « instruction au contrôle de la plaque » : on lui explique en détail comment se brosser les dents efficacement, à utiliser des brossettes interdentaires, des cure-dents médicaux, à se brosser la langue, à détecter une gingivite lors du brossage. Thérapie simpliste? Pas du tout, selon les praticiens.  » C’est vraiment la base du traitement : la personne est le premier moteur de guérison. Si nous détartrions directement, elle penserait que c’est notre action qui a amélioré son état. Or, sauf dans quelques cas spécifiques, c’est bien le brossage efficace et quotidien qui fait disparaître l’halitose ! »

En règle générale, le pronostic de guérison est très bon : la disparition de l’halitose – ou une nette diminution de celle-ci – apparaît après quelques semaines. Il s’accompagne d’une amélioration notable de la santé des gencives et du parodonte, ainsi que de l’estime de soi.

Contenu partenaire