Faut-il diaboliser le sucre?

Obésité, maladies chroniques, caries, etc. Après les graisses, le sucre a acquis le statut peu enviable d?ennemi diététique numéro 1. Mais est- il vraiment si mauvais que cela pour la santé?

Eviter complètement le sucre est devenu quasiment impossible puisque, on le sait désormais, presque tous les aliments disponibles dans le commerce en contiennent sous une forme ou sous une autre... Et il titille si agréablement nos papilles qu’il est difficile d’y résister !

D’autant plus que cette prédilection pour les douceurs est profondément inscrite dans nos gènes : notre cerveau est programmé pour associer l’amertume au danger, tandis que tout ce qui est sucré est spontanément catégorisé comme sûr. C’est ce qui a permis à nos lointains ancêtres, ainsi dissuadés de consommer des aliments toxiques, fréquemment amers, de survivre. Cette préférence est renforcée dès la naissance, lorsque le nouveau-né découvre la saveur du lait maternel, relativement pauvre en glucides simples mais tellement suave que tous les bébés en raffolent.

Notre rapport au sucre a néanmoins énormément évolué par rapport aux générations précédentes. Incroyable : l’Européen moyen absorbe aujourd’hui près de 40 kilos de sucre par an, contre 5 kilos seulement au XIXe siècle.

Tous les sucres ne se valant pas, que recouvre la notion de  » sucre « ?

Comme l’expliquent nos spécialistes en nutrition, le Pr Christophe Matthys (UZ Leuven et KU Leuven) et la diététicienne Karen Corthouts (UZ Leuven), le terme  » glucide  » désigne toute une série de sucres mais aussi, par exemple, une substance comme l’amidon.  » Le groupe des sucres proprement dits comporte plusieurs sous-catégories :

1. les monosaccharides (sucres simples), comme le glucose qui est présent dans les fruits, les friandises, les sirops. Le galactose, dans le lait. Et le fructose, dans les fruits, les légumes, le miel.

2. les disaccharidescomme le sucrose (le fameux  » sucre blanc « ). Le lactose qui est présent dans les produits laitiers. Le maltose qu’on retrouve dans la bière.

3. les polysaccharides ou glucides complexes tels que l’amidon qu’on trouve dans le pain, les pâtes, le riz, les lentilles, etc. Ils se distinguent des glucides simples par l’absence de goût sucré et par leur action plus lente : il faut beaucoup plus de temps à l’organisme pour les décomposer et les convertir en glucose sanguin. »

On assiste actuellement à une véritable déferlante de discours plus ou moins scientifiques dénonçant le rôle des glucides, et en particulier des sucres rapides, dans les caries, les problèmes de poids, et donc, indirectement, dans une foule de maladies chroniques.

Pour le Pr Christophe Matthys, accuser les sucres rapides de tous les maux du monde est évidemment un peu court. N’oublions pas qu’ils sont également présents sous forme de fructose dans les fruits et les légumes, sources de vitamines, minéraux et substances bioactives absolument indispensables ! Ecarter complètement les sucres de notre alimentation reviendrait à nous priver de tous ces nutriments extrêmement utiles. Seul le sucre blanc pur ne contient rien d’autre que des calories dites  » vides  » (400 kcal pour 100g de sucre !), sans le moindre apport en nutriments utiles tels que des vitamines ou des fibres. Il va sans dire que la consommation massive et prolongée de ce type de sucre est pour le moins mauvaise... mais pour une personne en bonne santé, se laisser aller de temps en temps à reprendre une part de tarte n’est pas un drame. Il faut simplement veiller à maintenir un bon équilibre entre glucides, lipides et protéines.

Le rôle du sucre dans l’apparition des caries doit également être nuancé : en réalité, ce sont les bactéries présentes dans la cavité buccale qui en sont responsables... mais il est un fait que ces germes se nourrissent de sucres. Il est donc important de prévoir des pauses suffisamment longues entre deux repas ou en-cas pour éviter d’alimenter les bactéries en continu. Dans ce cas précis, c’est vraiment la fréquence des apports en sucre qui est nuisible, et non la quantité ingérée. « 

Combien de glucides faut-il chaque jour à notre corps pour fonctionner correctement ?

 » Suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, +/- 55 % de nos apports énergétiques quotidiens devraient provenir de notre consommation de glucides, et en particulier de glucides complexes. La part des sucres rapides dans ces 55 % devrait par contre rester minoritaire (10 à 15 %) : la dose journalière maximale recommandée est de 60g pour un adulte, en ce compris les sucres ajoutés et liquides. « 

Le gros problème, c’est évidemment que les sucres ajoutés se cachent partout : un grand nombre de produits vendus dans les supermarchés en contiennent.

 » Ces sucres ajoutés font l’objet de nombreux débats. Initialement, ils étaient utilisés comme conservateurs ou pour améliorer la texture ou la saveur du produit. Mais le fait que nous consommions de plus en plus de sucre est surtout lié à des motivations commerciales : on cherche à séduire le consommateur en stimulant ses papilles. Ajoutons que, si la présence de sucre ajouté doit obligatoirement être mentionnée sur l’étiquette, les fabricants ne précisent pas toujours combien leur produit en contient. Il faut néanmoins savoir que les ingrédients figurent toujours sur la liste par ordre de quantité décroissante. Précisons également que les sucres ajoutés sont beaucoup moins sains que ceux qui sont naturellement présents dans certains aliments, comme le fructose. Mieux vaut donc les éviter autant que possible. « 

Pour quoi notre corps a-t-il besoin de sucre ?

 » Les glucides sont le carburant de l’organisme, qui les convertit en énergie destinée à l’approvisionnement des organes. L’apport de sucre est notamment capital pour le fonctionnement du cerveau. Nous pourrions également tirer cette énergie de notre consommation de lipides, mais cela impliquerait un processus beaucoup plus complexe. Il arrive que l’absorption de sucres rapides (p. ex. sucre de raisin) soit indispensable. C’est notamment le cas lors de certains types d’efforts sportifs. Les édulcorants comme l’aspartame n’ont pas du tout le même effet.

 » Ceux qui consomment beaucoup de sucres rapides durant une période prolongée mettent leur pancréas à rude épreuve, en l’obligeant à fabriquer sans cesse de l’insuline pour dégrader l’apport continu de glucose sanguin. A plus long terme et sous l’impact d’autres facteurs tels que le surpoids, le pancréas risque de se dérégler, ce qui peut provoquer l’apparition d’un prédiabète, voire d’un diabète de type 2.

L’hyperglycémie est un autre risque d’une exposition prolongée à des apports élevés en sucre : du fait que le pancréas n’arrive plus à suivre, on peut assister à l’apparition de symptômes tels qu’une sensation de faiblesse, un manque d’énergie ou des problèmes de concentration. Et pour y remédier, on aura tendance à se ruer sur les sucreries. Un véritable cercle vicieux ! « 

 » Les problèmes de santé liés à une consommation excessive de sucres rapides ne découlent toutefois pas uniquement de cette dernière : ils s’inscrivent le plus souvent dans le contexte d’un mode de vie globalement malsain caractérisé par un surpoids et un manque d’exercice physique. Ce constat a été récemment confirmé par une étude réalisée aux Pays-Bas, qui a suivi deux groupes de jeunes consommant l’un des boissons gazeuses sucrées, l’autre l’équivalent  » light « . Les chercheurs ont observé une prise de poids nettement plus marquée dans le premier groupe... mais celle-ci s’expliquait moins par les calories supplémentaires que par le fait que le taux d’insuline de ces sujets restait élevé en permanence, de telle sorte que la sensation de faim ne diminuait pas. Le sucre peut certes faire prendre du poids lorsqu’il est consommé en excès, mais les graisses sont en réalité deux fois plus caloriques. « 

Nous mangeons globalement beaucoup plus sucré qu’il y a une vingtaine d’années : la bière, les biscuits, le ketchup, tout beaucoup plus doux qu’avant...

 » Plusieurs études le confirment : nous avons assistons à une révolution gustative. Au départ, la Kriek, par exemple, avait une saveur acide.On la servait même avec un morceau de sucre et un pilon spécial, ce qui permettait à chacun de l’édulcorer selon ses goûts. De nos jours, elle se vend déjà sucrée. Il en va de même pour les pizzas et les charcuteries. Les sucres sont alors utilisés pour leurs propriétés de conservation, et pour le goût, évidemment. « 

Le sucre incite à manger davantage et pousse donc à la consommation...

 » Ce phénomène est lié notamment à la sensation de satiété. Avec les sucres rapides, celle-ci intervient très rapidement... mais comme le pic énergétique disparaît aussi vite qu’il est apparu, l’envie de consommer des sucreries revient très rapidement.

Si vous vous laissez gouverner par ces pics, il est évident que vous allez manger davantage. Ce phénomène fait toutefois aussi intervenir ce qu’on appelle l’addiction au sucre. « 

Être accro au sucre, ce n’est donc pas une légende ?

 » Cela peut en effet arriver. Généralement, cette addiction résulte de la combinaison d’un besoin métabolique et de l’effet psychologique du sucre sur le cerveau (lire Du sucre ? Le cerveau dit : content !).

Les personnes qui arrêtent brutalement le sucre après en avoir consommé des quantités importantes pendant des années présentent de véritables symptômes de sevrage, tout à fait comparables à ceux que l’on observe dans d’autres addictions. Le pancréas, qui avait pris l’habitude de produire de l’insuline à un rythme soutenu, perd complètement le nord, ce qui peut provoquer une irritabilité ou des tremblements.

Arrêter de manger du sucre du jour au lendemain n’est donc pas une bonne idée. « 

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