Comment sont testés nos médicaments ?

Une étude clinique, c’est, pour tout médicament, le passage obligé pour faire un jour partie de l’arsenal thérapeutique disponible. Quel en est le déroulement ? Quels sont les patients qui y participent ? Les réponses du Pr Dominique Bron.

Il faut souvent de nombreuses années pour que les patients puissent bénéficier d’un nouveau traitement. Pour leur sécurité, de nombreuses étapes sont prévues pour prouver leur efficacité et leur sécurité. Pour cela, des patients ou des volontaires participent à des études rigoureusement planifiées. Comment cela se passe-t-il ? Nous avons rencontré le Pr Dominique Bron, chef du service hématologie et vice-président du Comité d’Ethique à l’Institut Jules Bordet, à Bruxelles.

Quelle est la trajectoire d’un médicament ?

Un médicament est d’abord testé en laboratoire sur des lignées cellulaires (en culture), et ensuite sur des animaux. Si on remarque une efficacité du médicament, on cherche à définir la dose maximale tolérée par l’animal. Enfin, la troisième étape consiste à tester le médicament sur l’homme.

Comment procède-t-on ?

Les tests chez l’homme se découpent en quatre phases. Dans la phase 1, on étudie la toxicité du médicament : on part de 10 % de la dose efficace et maximale tolérée chez l’animal (la dose maximale qu’on a pu donner sans qu’il y ait de gros effets secondaires), et on augmente peu à peu la dose sur de petits groupes de patients. L’efficacité n’est donc pas la question principale. On veut voir jusqu’à quel point on peut augmenter la dose sans avoir d’effets secondaires graves, et en même temps, on regarde (en cancérologie, par exemple), si dans certaines tumeurs, on peut déjà voir une réponse positive, quelque chose qui va nous faire penser que ce médicament sera utile.

Dans la phase 2, on teste l’efficacité d’un médicament dans une pathologie particulière. La phase 3 permet de comparer le nouveau médicament à un autre qui existe déjà : est-il plus efficace ou pas ? En général, ce sont des études randomisées : les patients qui y participent sont tirés au sort pour savoir qui recevra le nouveau médicament ou le traitement classique. Une autre possibilité est qu’un patient reçoive le traitement classique, et un autre reçoit également ce traitement classique, avec en plus, le nouveau traitement. Mais on ne fait cette comparaison que si les données récoltées en amont laissent présumer que le nouveau traitement sera au moins aussi efficace que celui dont on dispose. Le suivi de cette phase dure au moins cinq ans, pour voir quels sont les effets secondaires à long terme.

Quant aux études de phase 4, elles servent à comparer deux médicaments qui existent, donc qui sont déjà enregistrés et remboursés en Belgi-que. Ce serait, par exemple, une comparaison de l’aspirine et du paracétamol. L’idée est de voir si l’un d’eux ne serait pas plus efficace, moins toxique, ou plus facile à supporter.

Quelle place ont ces études dans l’évolution de la médecine ?

Ces études permettent de grandes avancées. Prenez la maladie de Hodgkin, par exemple. Il y 40 ans, on pouvait seulement guérir les stades localisés de cette maladie par radiothérapie. Puis on a progressé, et avec la chimiothérapie, on a guéri plus de la moitié des stades avancés (stade 4). Aujourd’hui, on en est à une survie de près de 90 %, grâce à un protocole (schéma d’étude) qui nous a fait avancer, étape par étape, et nous avons désormais identifié la meilleure combinaison pour ces patients.

Autre exemple, la leucémie myéloïde chronique : il y a 10 ans, si on n’avait pas de donneur pour une greffe de moelle osseuse, le patient avait une espérance de vie de 2 à 3 ans. A l’époque, des patients se sont vu proposer un nouveau médicament, l’Imatinib (Glivec®), dans le cadre d’une étude. Et aujourd’hui, 90 % d’entre eux sont en vie. Ce médicament est désormais enregistré et remboursé, tout le monde peut y avoir accès.

Une étude peut-elle être interrompue ?

Bien sûr. Certaines peuvent être arrêtées dès la phase 1 si elles s’avèrent trop toxiques. Même en phase 3, la phase comparative, on peut mettre un terme à une étude parce qu’on se rend compte en cours de route, au bout de six mois, ou d’un an, qu’il y a un groupe de patients dont la survie dépasse significativement celle de l’autre groupe. Donc on ne peut continuer l’étude pour des raisons éthiques évidentes ! Pour éviter cela, quand il y a de grosses études avec d’importantes cohortes de patients, on procède à des analyses intérimaires pour vérifier qu’un groupe n’est pas pénalisé par rapport à l’autre. Si cette analyse montre qu’il n’y a pas de réelle différence entre les groupes, on continue. Sinon, on s’arrête.

Qui peut participer à ces études ?

Ce sont soit des patients, soit des volontaires rémunérés, qui sont souvent des étudiants. Mais il ne s’agit pas des mêmes études, bien sûr. Les volontaires servent à tester la toxicité d’un nouveau médicament comme un antibiotique, un médicament contre l’ulcère gastrique, etc. C’est aujourd’hui très réglementé, pour éviter qu’ils ne participent à différentes études dans des intervalles de temps trop proches. Pour les patients, soit on vient de diagnostiquer la maladie et on leur propose d’office un traitement prometteur, soit ils ont déjà épuisé toutes les possibilités du traitement classique et on leur donne la possibilité de participer à une étude grâce à laquelle ils vont avoir accès à un nouveau médicament.

Y a-t-il quand même des critères de sélection ?

Oui, et ces critères diffèrent selon le médicament testé. Mais en général, on préfèrera un patient qui n’a pas de problème de fonction rénale, cardiaque ou hépatique. En effet, si la fonction rénale n’est pas bonne, le médicament circule plus longtemps dans l’organisme et risque d’être plus toxique. Une mauvaise fonction cardiaque chez un patient risque de fausser l’interprétation des résultats : s’il a un problème cardiaque pendant l’étude, on l’imputera au médicament et l’étude sera sans doute arrêtée.

Comment les patients voient-ils cette opportunité ?

Une enquête a été réalisée par le Dr Lossignol, de l’Institut Bordet. Si vous avez 100 patients à qui vous dites que vous n’avez plus de traitement classique à leur proposer, 90 d’entre eux vont demander s’il y a un traitement  » expérimental  » qu’ils peuvent tester dans une étude. Et les 10 autres diront qu’ils préfèrent s’en tenir là. Ces statistiques sont très importantes : si on ne s’occupe pas de ces 90 % qui veulent autre chose, ils risquent de tomber dans les mains de charlatans, et c’est la porte ouverte à tous les excès. Ils sont prêts à tout, vont prendre des médicaments qui coûtent cher et ne seront assortis d’aucun suivi médical, ni de contrôle de toxicité, etc. Pour les patients inclus dans une étude, c’est donc pour eux une prise en charge, qui, psychologiquement, les aide dans la dernière ligne droite de la maladie. Ils ne se sentent pas abandonnés, et voient cela comme une chance.

Le patient sait-il à quoi il s’engage ?

Oui, car il reçoit une feuille d’information, et nous lui demandons de signer un document pour prouver son consentement. Cette signature se fait devant témoins (des proches, des médecins, des infirmières). La feuille d’information est d’abord lue par un comité d’éthique, composé de médecins, de juristes, d’infirmières et de paramédicaux (psychologues, ergothérapeutes...). Elle doit être compréhensible par un enfant de 12 ans, c’est la règle !

Peut-on toujours améliorer un traitement ?

En effet, quand on est arrivé très loin dans l’efficacité d’un traitement, comme pour la maladie de Hodgkin, on peut faire des études dont l’objectif est de diminuer la toxicité des effets secondaires chez le patient. C’est ce qu’on appelle une étude de désescalade : on part du meilleur schéma, et après quatre mois, par exemple, on enlève ou on diminue une des dro-gues. Si on sait qu’une drogue est dangereuse parce qu’elle rend stérile, on va essayer de la remplacer par une autre. Ce sont toujours des études comparatives. C’est le même principe pour une nouvelle technique d’imagerie, ou de chirurgie, etc. Cela ne s’applique pas qu’aux médicaments.

Quelle est la différence entre une étude pharmaceutique et une étude académique ?

L’étude pharmaceutique se penche sur l’efficacité d’un médicament. L’industrie pharmaceutique en est le sponsor, et elle cherche à démontrer l’efficacité de son médicament, à la dose maximale tolérée. Mais, sachant que ces nouveaux médicaments ont un coût très élevé, il est intéressant de savoir si on peut diminuer la dose, après trois mois, par exemple, et apporter néanmoins un bénéfice au le patient. Cette question intéresse moins l’industrie pharmaceutique, qui n’a pas intérêt à ce que le coût du traitement diminue. Seule une étude académique cherchera à répondre à cette question.

Comment se situe la Belgique dans ce domaine?

Notre pays a très bonne réputation. En Europe, en général, nous sommes très sollicités, par rapport aux Etats-Unis où les coûts exorbitants des assurances constituent un frein à ce type d’études. Ceci dit, à cause de la lourdeur administrative qui résulte, pour nous, de l’application de la directive européenne sur la recherche, il n’est pas impossible que ces études finissent pas nous échapper au bénéfice de pays comme la Chine et l’Inde, où il sera plus simple et moins coûteux, pour ces firmes pharmaceutiques, de développer un médicament.

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