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Comment se vider la tête pour mieux dormir

Les idées se bousculent dans votre tête, une bouffée d’angoisse vous envahit et Morphée refuse de vous tendre les bras. Ce sont souvent les obstacles psychologiques rencontrés dans la vie de tous les jours qui causent nos problèmes d’insomnie. Conseils malins pour retrouver le sommeil.

Le sommeil fait l’objet de préjugés tenaces qui influencent notre conception de cette phase récupératrice indispensable.  » Nombre d’entre nous sont convaincus qu’il faut passer huit heures par jour sous la couette pour avoir un sommeil réparateur. Mais chacun de nous a des besoins différents « , explique Annelies Smolders, psychologue spécialiste du sommeil.

 » La durée de sommeil et l’horloge biologique qui régule le cycle veille/sommeil évoluent au fil des ans. Jusqu’à la fin de l’adolescence, notre besoin de sommeil est plus important car le corps sécrète l’hormone de croissance pendant qu’on dort. A cet âge-là, on dort facilement 8 heures, voire plus. En fin de croissance, le besoin de sommeil diminue. Passé 50-60 ans, l’horloge biologique fonctionne moins bien et la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil, diminue. On dort donc moins longtemps et d’un sommeil moins profond. Dormir 5 à 6 heures par nuit, d’un sommeil souvent fragmenté, n’a rien d’anormal. On récupère moins bien, on vieillit et on se sent fatigué. « 

Beaucoup font l’erreur ne pas adapter la durée de sommeil à leur âge.  » Ils passent autant de temps dans leur lit qu’avant mais restent éveillés plus longtemps. L’erreur classique à ne pas commettre à l’âge de la retraite est d’allonger le temps de sommeil, persuadé qu’on est de la nécessité de se reposer plus longtemps. Or, à cet âge-là, le besoin de sommeil diminue, au même titre que l’activité physique. Pour préserver la qualité du sommeil profond, il faut faire exactement l’inverse : se coucher plus tard et rester moins longtemps sous la couette. D’autres facteurs peuvent également détériorer la qualité de sommeil des 50+ : problèmes de santé, chagrin mais aussi stress, anxiété et moments de veille dus à la maladie d’un partenaire ou d’un parent âgé. « 

Un cerveau en alerte

Un cerveau accoutumé à rester en alerte, à guetter le moindre bruit, a du mal à sortir du mode veille.  » Le sommeil est un comportement. Si le cerveau a pris l’habitude d’un sommeil léger pendant plusieurs semaines, il continue à fonctionner de la même façon. La veille et le sommeil ne font pas bon ménage. Après une période de veille, près d’une personne sur dix doit réapprendre à lâcher prise pour trouver le sommeil profond. Elle reste longtemps couchée mais ne dort que d’un sommeil léger et se réveille plusieurs fois. Le chagrin peut également occasionner des difficultés d’endormissement « , souligne Annelies Smolders.

Comment se vider la tête pour mieux dormir

Ce qu’il faut faire

Si votre sommeil léger est déréglé et a tendance à se prolonger, la thérapie du sommeil (voir ci-dessous) permet de le rendre plus court et efficace de manière à retrouver un sommeil profond de qualité. Dans un premier temps, la durée de sommeil est fortement réduite puis progressivement rallongée. Mais vous ne reviendrez probablement plus à la durée de sommeil d’avant parce qu’elle n’est plus nécessaire.

La thérapie du sommeil

Supposons que vous passiez chaque nuit 7 heures au lit mais que vous n’en dormiez que 5. La première chose à faire est de ne rester couché que 5 heures la première semaine, c’est-à-dire la durée de sommeil effectif. Pour reprogrammer votre horloge biologique, réduisez le temps de sommeil et modifiez les heures de coucher et de lever.  » Ne vous glissez sous la couette que lorsque vous tombez de sommeil. Vous vous endormirez beaucoup plus vite, votre sommeil sera plus profond et de meilleure qualité. Restreindre le temps de sommeil provoquera peut-être une certaine somnolence diurne les premiers jours. C’est tout à fait normal et nécessaire pour, à terme, allonger la durée de sommeil. Evitez de faire la sieste en journée, sans quoi le besoin de sommeil se fera sentir encore plus tard le soir. Au bout d’une semaine, votre sommeil sera plus efficace et vous dormirez facilement une demi-heure de plus. Répétez l’opération les semaines suivantes jusqu’à ce que vous vous sentiez tout à fait reposé au lever. « 

Une autre méthode consiste à se lever quand on n’arrive pas à se rendormir.  » Si vous restez éveillé plus de 20 minutes, sortez de votre lit. Même en pleine nuit, faites ce que vous avez l’habitude de faire le soir avant de vous coucher, lire un livre ou regarder la TV, par exemple. Mais pas au lit, sans quoi votre cerveau risque d’associer lit et activité. « 

Les 3 ou 4 premières nuits, il vous faudra un certain temps avant de ressentir un réel besoin de dormir. L’essentiel est de vous coucher dans le bon état d’esprit. Il faut admettre ses problèmes de sommeil, oublier l’heure et prévoir quelques livres amusants ou une série télévisée, question de meubler agréablement les moments de veille. Il faut parfois plusieurs semaines avant de retrouver le sommeil. Si vous avez du mal à accepter vos problèmes d’insomnie, le combat est perdu d’avance. Le fait de dormir moins au début mais plus profondément permet de se sentir mieux reposé que si on reste couché longtemps à ne dormir que d’un oeil. Environ 80 % des gens réussissent à retrouver leurs habitudes de sommeil en 6 semaines.

Vous êtes angoissé

Les nuits blanches sont parfois dues à la crainte de lâcher prise.  » Elles peuvent résulter d’expériences négatives comme un cambriolage, la perte d’un être cher décédé pendant son sommeil ou tombé dans les escaliers et retrouvé le lendemain. Le cerveau réagit en restant vigilant, ce qui ne facilite pas le sommeil profond. Vouloir à tout prix dormir avec la tête face à la porte peut, par exemple, être révélateur d’une volonté de contrôle excessive. L’anxiété après le décès du partenaire peut également provoquer des troubles du sommeil. On développe certains rituels d’endormissement quand on partage le même lit pendant de longues années. Et quand ces  » somnifères  » mentaux disparaissent, le sommeil est perturbé. La meilleure solution ? Créer de nouveaux rituels.

Ce qu’il faut faire

La thérapie du sommeil peut aider à résoudre les troubles du sommeil dus à l’anxiété, parfois complétée par une psychothérapie qui traite l’anxiété proprement dite. Les techniques de concentration peuvent également s’avérer utiles. Une séance de méditation avant le coucher permet de se concentrer sur un point. Les deux hémisphères du cerveau se synchronisent et produisent une sensation d’apaisement et de somnolence. L’exposure – ou le face-à-face à son angoisse – a pour but de neutraliser les pensées négatives. La méthode consiste à imaginer des scénarios différents et de s’en convaincre.  » Je pourrais être victime d’un nouveau cambriolage, c’est vrai, mais je ne l’empêcherai pas en restant éveillé. Et il vaut mieux que je dorme pour ne pas m’en rendre compte.  » Si l’anxiété résulte d’un traumatisme comme un décès pendant le sommeil, de courtes séances d’hypnose peuvent apporter un certain soulagement.

Vous faites des cauchemars

Autre exemple d’obstacle psychologique, la crainte de refaire toujours les mêmes cauchemars.  » On peut essayer d’influencer ses rêves. La méthode consiste à exprimer son cauchemar et à en réécrire la fin, avec un happy end. La nouvelle version est discutée en thérapie. Le rêve résume ce qu’on a vécu en journée et ajoute de nouveaux stimuli à d’anciens souvenirs. En intervenant consciemment sur ces stimuli en journée, on arrive à réorienter les rêves de la nuit suivante. La thérapie EMDR est une autre option. Le thérapeute invite à bouger les yeux selon la même fréquence que pendant le sommeil paradoxal de manière à reprogrammer les cauchemars. « 

Les soucis et le stress vous rongent

Chez les inquiets et les anxieux, les pensées se bousculent et le cerveau est constamment en activité.  » La journée leur semble interminable. Ils commencent par regarder la TV, font les poussières et finissent par nettoyer tout le salon au lieu de finir la journée en toute décontraction. « 

Ce qu’il faut faire

Il est important d’identifier le moment où on commence à ruminer dans son lit pour stopper le processus. S’il est impossible de se vider complètement la tête, on peut la remplir de pensées neutres. En répétant un mantra, en récitant un poème, ou encore en ressassant un mot dénué de sens, la syllabe  » de  » par exemple. La répétition a pour effet de ralentir les ondes cérébrales. Se concentrer sur un mot empêche le cerveau de ressasser des idées négatives. Le but ? L’empêcher de se réveiller trop souvent et d’imaginer des scénarios. Si vous n’y arrivez pas, le mieux à faire est de vous lever, de lire ou de regarder la tv pour vous changer les idées.

Ma série télé, mon somnifère ?

Je conseille aux fans de séries télévisées de commencer à les regarder vers 23 h, avance Annelies Smolders. C’est le somnifère idéal, une sorte de méditation en quelque sorte. Ce genre d’activité permet de se détendre car le cerveau se concentre sur un seul point. Un documentaire fait également l’affaire. Par contre, il vaut mieux éviter les journaux télévisés, les matches de foot, les quiz et le zapping, trop excitants pour le cerveau.

La lumière bleue diminue la sécrétion de mélatonine. C’est le gros problème des smartphones et des tablettes qu’on tient près du visage et sur lesquels on tapote frénétiquement. Cela a un impact négatif sur l’horloge biologique qui est située juste derrière les yeux. L’impact est moindre quand on regarde la TV parce que la distance par rapport à la lumière bleue est plus importante et qu’on la regarde passivement. « 

De la lumière pour mieux dormir ?

Vous avez du mal à vous lever le matin ? Envie de faire la sieste l’après-midi ou en début de soirée ? Le port de lunettes lumineuses pendant 20 minutes peut vous aider.  » Ces lunettes produisent une lumière juste sous les yeux et indiquent ainsi à l’horloge biologique qu’il n’est pas nécessaire de sécréter d’hormone du sommeil dans les prochaines heures. La luminothérapie est également conseillée aux personnes souffrant du blues hivernal « , souligne Annelies Smolders, psychologue spécialiste en sommeil.

Maintenant au dodo et place à l’Histoire !

Comment se vider la tête pour mieux dormir
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Aujourd’hui, nous estimons avoir passé une bonne nuit lorsque nous avons dormi huit heures d’affilée. Pourtant, cette ten-dance à faire sa nuit d’un seul bloc est très récente. Pendant des millénaires, l’homme a calqué ses nuits sur le rythme du soleil : on se mettait au lit au crépuscule pour en sortir peu avant l’aube. Si ce rythme peut sembler plus naturel, c’est aussi pour des raisons pratiques et pécuniaires qu’on se couchait en même temps que l’astre solaire : souvent, le foyer était la seule source de lumière d’une maison. Les lampes à huile et les bougies de suif éclairaient mal, étaient odorantes, tandis que les chandelles de cire étaient hors de prix. Elles étaient réservées aux nantis ou aux grandes occasions (d’où l’expression  » le jeu n’en vaut pas la chandelle « ). De ce fait, la période de repos était courte en été et longue en hiver. Est-ce à dire que nos ancêtres dormaient douze à treize heures à la mauvaise saison ? Pas vraiment : nos aïeuls pratiquaient en réalité le sommeil  » bi-phasé « . Après un premier sommeil d’environ quatre heures, ils s’éveillaient une ou plusieurs heures, avant de replonger dans les bras de Morphée. Selon l’historien américain Roger Ekirch, ils étaient très actifs durant leur réveil nocturne : ils discutaient, priaient, racontaient des histoires, avaient des relations sexuelles...

Se réveiller la nuit est normal

Tout ceci prendra fin à partir du XVIIe siècle, avec la multiplication des horloges mécaniques, divisant les journées en heures égales quelle que soit la saison, et la démocratisation des systèmes d’éclairage, permettant de veiller plus tard. Plus question de traînasser au lit, la nuit de repos est réduite à sa portion congrue. Plusieurs troubles actuels du sommeil pourraient être dus à ce changement : le fait de nous réveiller en pleine nuit nous stresse – alors que ce serait tout à fait naturel -, tandis que la réduction du temps accordé au repos est aussi source d’anxiété.

Dormir est inquiétant

Le sommeil de nos ancêtres n’était cependant pas toujours paisible : au Moyen-Âge, par exemple,  » le sommeil constitue une énigme quelque peu effrayante « , écrit l’historien médiéviste Jean Verdon. Le fait que le sommeil fasse du corps humain un objet inanimé, traversé de pensées terrifiantes, inquiète. D’ailleurs, sur les tableaux d’époque,  » les dormeurs sont souvent figurés dans des positions inconfortables (...), appuyés par exemple sur un bâton de berger, de façon à conserver une certaine vigilance « . On peut par contre probablement tordre le cou à la légende selon laquelle les plus nantis d’autrefois couchaient assis, de peur de dormir dans une position qui rappellerait trop la mort : il n’existe pas de sources historiques allant dans ce sens. La plupart des lits étaient d’ailleurs suffisament longs. Quid des lits si courts qu’on rencontre dans les lieux historiques ? Il pourrait s’agir de lits  » d’apparat « , dans lesquels on recevait des visites assis, ou de lits paraissant plus petits par phénomène optique.

N.E.

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