© BELGAIMAGE

Charcuteries aux nitrites: un danger sous-estimé

Les nitrates et nitrites sont régulièrement employés dans la confection des jambons, salamis et autres cochonnailles. Des additifs légalement autorisés, mais délétères pour la santé.

Les nitrates ou nitrites présents dans les charcuteries sont-ils dangereux pour la santé ? La question est simple, la réponse est un peu plus complexe... C’est que, même sans manger de charcuterie, nous ingérons quotidiennement une certaine quantité de ces éléments chimiques. Le nitrate est en effet très répandu dans la nature, par exemple sous forme de salpêtre (mais il est peu probable que vous en léchiez les cristaux sur vos murs humides...) ou dissous dans l’eau du sol.  » Le nitrate est essentiel à la croissance des plantes, explique Serge Pieters, nutritionniste et professeur de diététique à l’Institut Paul Lambin. Sans cela, les végétaux seraient incapables d’absorber l’azote, qui leur est indispensable. On retrouve donc des nitrates à forte dose dans certains légumes, comme la laitue, le céleri ou les épinards.  » A cela, il faut ajouter les nitrates présents dans l’eau potable, tolérés dans des proportions limitées (max. 50mg/l).

La couleur naturelle du jambon cuit est celle d’un rôti de porc. Le rose est dû aux additifs

La grande majorité du nitrate ingéré est évacuée de l’organisme par les voies naturelles; seule une petite partie est dégradée dans le système digestif et relarguée dans notre organisme, via la salive, sous forme de nitrite. Ce nitrite occasionne la formation de nitrosamines, des molécules dont le potentiel cancérigène est, selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), probable, voire avéré. En d’autres termes, les nitrosamines favoriseraient l’apparition du cancer colorectal. Ceci étant, les quantités dont on parle ici sont le plus souvent négligeables et ne constituent pas un problème de santé publique. Seules quelques associations alimentaires pourraient peut-être poser problème, lorsque des aliments riches en nitrates sont associés à d’autres aliments riches en amines. Le CIRC a d’ailleurs classifié les nitrates et les nitrites comme cancérigènes probables, mais uniquement sous certaines conditions favorisant la  » nitrosation « .  » On cite souvent l’exemple du poisson associé à la purée d’épinards, bien que, dans ce cas précis, cet effet n’ait pas été démontré in vivo « , ajoute Serge Pieters.

Charcuteries aux nitrites: un danger sous-estimé
© ISOPIX

Un additif miracle

S’ils sont présents à l’état naturel dans l’eau, les végétaux et même dans notre organisme, nitrates et nitrites sont également employés comme additifs pour réaliser des charcuteries. Le plus souvent, on les retrouve sous forme de salpêtre (nitrate de potassium, E252, qui se transforme en nitrite lorsqu’il est associé à la viande) ou de sel nitrité (du sel classique, auquel est ajouté une petite quantité de nitrate de sodium, E250). Leurs propriétés sont, d’un premier abord, très intéressantes : ils ont un effet antibactérien efficace, notamment contre la dangereuse bactérie à l’origine du botulisme, repoussent les dates de péremption et donnent une belle couleur rosée au jambon cuit qui, sans cela, serait plutôt gris (voir encadré). Plus intéressant pour les fabricants : les nitrates et nitrites accélèrent la maturation des produits, qui demandent dès lors moins de temps et de main d’oeuvre pour être fabriqués. Les grands industriels ne sont pas les seuls à les employer : il n’est pas rare de les retrouver dans des produits artisanaux et ils sont autorisés, parfois de manière restrictive, pour la fabrication de charcuteries bio. Cette utilisation estelle problématique sur le plan sanitaire ? En 2015, le CIRC a en tout cas classé les  » viandes transformées  » – catégorie dans laquelle on retrouve les charcuteries – comme cancérogènes, ajoutant qu’une portion quotidienne de 50 grammes de viande transformée (soit l’équivalent d’une tranche de jambon) accroît le risque de cancer colorectal de 18 %. Reste à voir quel rôle jouent les nitrates et ni-trites dans ce potentiel pathogène... Les instances européennes semblent ici rassurantes : l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) écrit noir sur blanc que  » sur base des éléments de preuve disponibles, les experts de l’efsa ont conclu que les niveaux de sécurité existants pour les nitrites et les nitrates ajoutés à la viande et à d’autres aliments constituaient une protection adéquate pour les consommateurs « . Elle ajoute que les  » nitro-samines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans des produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine. « 

Il est possible de faire de la charcuteries sans nitrites. Mais cela prend plus de temps....

Un avis décrié par Guillaume Coudray, journaliste français qui a longuement enquêté sur le sujet et en a tiré un livre ( » Cochonneries, comment la charcuterie est devenu un poison « , éd. La découverte).  » On sait depuis cinquante ans que ces additifs ont un rôle important dans la survenue des cancers, de nombreuses études l’ont démontré, s’insurge le journaliste. Le problème fondamental de ce rapport de l’Efsa, c’est qu’il ne parle que des nitrites résiduels, ceux qu’on retrouve tels quels dans le produit fini. Or, lors des différentes étapes du processus de fabrication, la quasi-totalité du nitrite se transforme composés n-nitrosés, parmi lesquels le fer nitrosylé. Ce dernier est un cancérigène hyper puissant ! Issu de la réaction du nitrite et du fer héminique contenu dans la viande, c’est lui qui donne la couleur rosée au jambon. L’  » évaluation  » de l’Efsa  » oublie  » le fer nitrosylé, pour ne nous parler que des  » nitrites résiduels « , dont on sait pourtant parfaitement qu’ils ne sont pas le problème ! « 

Et si l’utilisation de plus en plus répandue d’un autre additif, l’acide ascorbique, permet de limiter les effets délétères des nitrosamines qui pourraient éventuellement se former lors de la fabrication ou de la digestion, elle n’a aucune influence sur le fer nitrosylé...

Au temps du  » jambon blanc « 

Le jambon cuit n’a pas toujours été rose ! Si le jambon cru, salé et séché, acquiert une belle teinte rouge durant son affinage, le jambon cuit au bouillon a longtemps dû se cantonner à des teintes grisâtres et ternes. Rien de plus normal : c’est la couleur naturelle de la viande de porc après cuisson, proche de celle que vous obtenez aujourd’hui avec des côtelettes ou un rôti.

Le problème, c’est que les traces de ce jambon blafard sont très ténues. Dans les natures mortes de jadis, les peintres préféraient représenter des jambons crus, offrant un beau contraste de blanc et de parme, plus généralement consommés car se conservant plus facilement. Par ailleurs, explique Guillaume Coudray,  » le jambon rose, obtenu grâce à l’utilisation de nitrites, est arrivé chez nous d’Amérique et s’est généralisé au lendemain de la Première Guerre mondiale « . Il n’y a donc plus personne, ou presque, pour se rappeler du jambon d’antan !

La seule empreinte tangible demeure dans les termes toujours employés outre-Quiévrain pour désigner le jambon cuit : même si ses tranches sont aujourd’hui rosées, on continue à parler de  » jambon blanc « .

Sans nitrites, vraiment ?

Pour l’heure, nitrates et nitrites sont toujours légalement autorisés dans la charcuterie. Il n’empêche : ces additifs ont désormais mauvaise presse. A raison. De plus en plus de fabricants tentent donc de les abandonner... ou tout du moins de le faire croire. En février dernier, Test-Achats a ainsi souligné que plusieurs jambons vendus en Belgique contenaient des nitrites, alors que l’étiquette mentionnait  » sans nitrite ajouté « . En réalité, explique l’association,  » les fabricants utilisent des extraits de plantes riches en nitrite ou des ferments qui produisent du nitrite pour obtenir quand même l’effet du nitrite sans devoir le signaler sur l’étiquette.  » Des pirouettes techniques qui n’empêchent pas l’apparition de dérivés N-nitrosés.

 » Il est pourtant tout à fait possible de se passer de ces additifs, affirme Guillaume Cou-dray. C’est assez simple pour les charcuteries crues, même si cela demande plus de temps. En France, en Belgique, en Allemagne, en Italie... des centaines de fabricants travaillent déjà sans nitrate, ni nitrite. Les fabricants de jambon de Parme ont abandonné leur utilisation depuis vingt-cinq ans et on ne déplore aucun cas de botulisme suite à sa consommation. Les solutions existent, elles ne demandent qu’à être généralisées. Même du côté du jambon cuit, les technologies sont parfaitement au point. Tout au plus faut-il accepter de le consommer plus pâle...  » Une habitude de consommation qui ne sera peut-être pas si facile à prendre, tant nous avons été habitués à consommer du jambon cuit d’un rose éclatant !

Zapper les charcuteries ?

Dans un avis rendu en 2013, le Conseil supérieur de la santé recommande de  » consommer peu, voire pas du tout, de charcuteries à base de viande rouge « , c’est à dire  » la viande rouge qui a subi un saumurage (le plus souvent par ajout de nitrite et/ou de nitrate) « .

Contenu partenaire