© Nicolas Borel - Atelier Christian de Portzamparc

Le Musée Hergé, ode au maître de la BD

Depuis plus de 9 ans, le Musée Hergé déroule ses cases à Louvain-la-Neuve. Passer sa porte d’entrée, c’est pénétrer dans l’intimité du créateur de Tintin : l’homme à la houppette passe à l’arrière-plan, pour mieux mettre en avant le génie de son scénariste et dessinateur.

Mai 2009. La presse nationale et internationale, conviée en avant-première à l’inauguration du Musée Hergé, se presse à Louvain-la-Neuve avant d’apprendre, dépitée, qu’aucune prise de vue à l’intérieur du musée ne sera autorisée. Couac de communication magistral : de nombreux journalistes décideront de boycotter l’événement, privant tout un temps les lieux d’éclairage médiatique et de succès de foule immédiat. De l’eau a depuis coulé sous les ponts et la fréquentation du musée augmente désormais d’années en années. A juste titre, car ce musée possède des qualités indéniables !

Qualités architecturales, tout d’abord : flottant dans la verdure, le bâtiment du Musée est un chef-d’oeuvre, incroyable hommage à la ligne claire. Christian de Portzamparc, l’architecte des lieux, a réussi à transposer le 9e art dans le béton. Le lieu se lit comme une BD, avec ses cases asymétriques et ses curieux volumes, aux contours à la fois biscornus et francs, reprenant certains détails des albums de Tintin : les gratte-ciels de Chicago, les rocailles de l’Île Noire ou encore le damier de la fusée lunaire. Sur ce dernier point, on remarque une différence notable : si le blanc est bien là, le rouge a été remplacé par un bleu profond. « C’est un choix de Fanny Rodwell [coloriste et veuve d’Hergé, ndlr], car le damier symbolisait trop Tintin à ses yeux, explique Anne Eyberg, directrice du musée. Or, ce musée est consacré avant tout à Hergé !« 

Aux sources du génie

Qu’on ne s’y trompe donc pas : nous ne sommes pas dans musée à la gloire de Tintin, mais bien dans espace dédié à Hergé, à son processus créatif, à ses sources d’inspiration... Les premières salles du musée montrent ainsi comment la vie de cet éternel scout dans l’âme (Renard Curieux, toujours prêt !), a influencé et nourri son oeuvre : sa première petite amie surnommée Milou, sa collaboration à la revue mensuelle « Le Boy Scout« , ses incursions dans le monde de la pub et de la communication, sa cinéphilie et son intérêt pour l’actualité, les femmes de sa vie... Autant d’éléments, autant de muses qui donneront naissance à une véritable « famille de papier », cette galerie de personnages hauts en couleurs qui parsèment les albums de Tintin, de Quick et Flupke, etc.

Le parcours est agrémenté de nombreuses planches originales, de quelques photos et objets disséminés ci et là. C’est peut-être ici le moment de souligner l’importance de la visite guidée : vu sans commentaires, les différentes pièces exposées peuvent parfois sembler arides. Il s’agit d’ailleurs d’un point souvent relevé dans les critiques négatives visibles sur le net. Mais pour peu que vous ayez un guide passionné (ou un audioguide ?) avec vous, la collection s’illuminera : l’efficacité du dessin, le rendu du mouvement sur une vignette fixe, le perfectionnisme visible sur une planche mille fois retravaillée, voire une idée d’enfance qui sera ensuite reprise, des années plus tard, dans un album... Autant de détails invisibles au profane mais qui, une fois mis en lumière, donnent tout leur sel aux croquis, crayonnés, courriers...

Pink Floyd et National Geographic

Le niveau suivant se penche davantage sur la création proprement dite : elle insiste sur la volonté d’Hergé de construire, au-delà ses tout premiers albums, des aventures crédibles sur le plan géo-ethnographique et – pour l’époque – scientifique. Une rigueur qui passe par une longue recherche de documentation (bien au-delà des National Geographic qui encombraient quantité d’armoires du studio !) et qui va par exemple lui permettre de composer les très convaincants « Objectif Lune/On a marché sur la Lune », bien avant que Neil Armstrong n’embarque dans la capsule Apollo 11. Pour la petite histoire, Hergé ira jusqu’à se faire construire une maquette de la fusée lunaire (visible au musée) afin de découper correctement les déplacements des personnages à l’intérieur de celle-ci ! Un peu plus loin, en aparté, la reconstitution du salon de Georges Rémy rappelle que l’homme vivait pleinement avec son temps, grand amateur d’art moderne et auditeur de... Pink Floyd !

Vient ensuite une salle consacrée aux Studios Hergé, qu’on peut comparer aux ateliers des peintres flamands du Moyen-Âge : dans ce microcosme aux tâches bien réparties, Georges Remy jouait le rôle d’homme-orchestre, en plus de son rôle créatif. Un travail colossal qui s’est avéré payant : la dernière partie du musée revient sur le succès mondial de l’oeuvre d’Hergé et principalement de Tintin, le reporter éclipsant carrément son auteur. Ce dernier en ressentira d’ailleurs une certaine amertume... Et si ce lieu, en remettant Georges Remy à l’avant-plan, n’était finalement qu’un juste retour des choses ?

Au final, pour peu que la visite soit encadrée et qu’on soit curieux de l’envers du décor, le Musée Hergé mérite le détour : tout amateur de Tintin redécouvrira ses albums avec un oeil nouveau, conscient de la masse de travail, de détails et de talents qui les constituent. Sur ce point, on peut parler de réussite totale. Un petit regret, toutefois : l’enfant qui sommeille en nous a été un peu déçu par la visite, car la part de rêve qui a accompagné nos lectures enfantines n’est que très peu exploitée. On aurait peut-être aimé davantage de maquettes et de grands objets – à part la fusée lunaire et le sous-marin requin, nous sommes un peu restés sur notre faim -, l’une ou l’autre reconstitution tirée de l’univers de Tintin (les caves de Moulinsart, Rascar Capac dans le salon du Pr Bergamotte, la jeep Willis des Dupondt dans le désert, qui sait ?) ou quelques éléments plus ludiques/humoristiques (il y a matière : l’humour est omniprésent dans l’oeuvre d’Hergé !). Voici donc un musée aux propos plutôt adultes même si, depuis quelques années, de plus en plus d’activités spécifiques ont été mises en place pour contenter un public plus jeune (journée famille avec visites faites par des personnages déguisés, événements dans le cadre de Louvain-la-Plage, etc.). A suivre, donc !

On a aimé

– La visite guidée par un guide passionné, indispensable pour mettre en lumière les pièces exposées, le génie d’Hergé et son mode de travail. Nous n’avons pas testé l’audio-guide, qui semble aussi bien remplir cette tâche.

– Le cadre et le bâtiment, tout simplement épatants.

– Une scénographie aérée, qui laisse respirer le visiteur.

– Le restaurant du musée « Le Petit Vingtième » constitue une bonne table, d’un excellent rapport qualité-prix.

On a moins aimé

– Le parti pris scénographique, s’il a tout son sens, en fait un musée aux propos très adultes et sérieux. Les petits bouts et les jeunes ados risquent de décrocher et de s’ennuyer rapidement. Pour visiter les lieux en famille, mieux vaut profiter d’un événement spécial qui donnera un peu plus de « couleurs » à la visite.

– Le Musée loue – à juste titre – le génie d’Hergé mais n’explore absolument pas les facettes plus sombres de l’artiste. Dommage, cela ne l’aurait que rendu plus humain.

Musée Hergé, Rue du Labrador 26, 1348 Louvain-la-Neuve.

Ouvert tous les jours sauf les lundis, du mardi au vendredi de 10h30 à 17h30, le samedi et le dimanche de 10h00 à 18h00. Visites gratuites chaque premier dimanche du mois. Plus d’infos : www.museeherge.comou 10 488 421

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