La Grande Guerre: les témoignages des civils et soldats belges

Le Centenaire de la Première Guerre mondiale approchant à grands pas, on ne compte plus les publications de témoignages inédits d’acteurs du conflit. Voici le premier volet d’une sélections d’ouvrages consacrés à la Belgique, aux civils et soldats belges.

Longtemps, les éditeurs se sont limités à publier les mémoires de 14-18 de lettrés ou d’officiers renommés. Des récits intéressants, certes, mais généralement retravaillés après-guerre et manquant d’authenticité. Ces textes sont aseptisés, réécrits dans un style littéraire et passent parfois sous silence les moments de doute, de peur, la frénésie du combat, le ras-le-bol. Quantité d’éléments considérés comme triviaux passent à la trappe, donnant une image tronquée du conflit.

On ne peut donc que se réjouir, ces derniers temps, de la publication brute de lettres ou de carnets du front, reproduits dans leur intégralité. Ici, pas de fioritures, d’ajouts ou de retranchements inutiles : on découvre une autre guerre, des aspects méconnus racontés par un  » simple  » soldat ou par un civil déporté. Histoire de faciliter la compréhension, ces témoignages véritables sont le plus souvent commentés et remis en contexte.

Des problèmes communautaires, déjà

Les survivants du boyau de la mort(1)reproduit ainsi la correspondance entre deux volontaires de guerre, Paul Heuson, grièvement blessé au boyau de la mort près de Dixmude et miraculeusement rescapé, et son ami Jean Bolle. Entre descriptions de la vie des tranchées ( » Ce qu’il fait froid ici, ce n’est rien de le dire ! [...] Quelle obscurité et quelle boue ! ! Par-dessus les jambières. En fin de compte je me suis assis et il a fallu qu’on vienne m’en tirer. Ce que j’étais crotté ! ! « ), leçons de vie et coups de blues, on découvre également l’existence de tensions linguistiques au sein des tranchées.

Si le ressenti des soldats flamands par rapport aux officiers francophones est un phénomène bien connu, il est plus rare de retrouver des écrits mentionnant une amertume des Wallons face à leurs compatriotes du nord. C’est pourtant le cas de Paul Heuson et Jean Bolle qui, au fur et à mesure de leur relation épistolaire, finissent par conclure que l’avenir de la Wallonie se situe dans le séparatisme ( » J’en arrive à me demander si je ne leur préfère encore pas les Boches « , affirme même Jean dans un coup de sang). Détail cocasse : pour que ces missives engagées puissent passer la censure, les lettres de Jean mentionnent peu le flamand, préférant parler de... grec.

A noter que ces lettres n’étaient initialement pas destinées à être publiées et étaient avant tout privées, ce qui explique peut-être l’aplomb avec lequel les deux épistoliers exposent leurs positions catégoriques... De quoi éclairer sous un jour nouveau les relations wallo-flamandes en 14-18, finalement (parfois seulement ?) mal vécues de part et d’autres !

Ces héros méconnus

Autre aspect méconnu de la guerre, désormais remis en lumière : la résistance des rétifs au travail obligatoire en Allemagne. En 1916, des milliers de Belges, âgés de 17 à 60 (!) ans seront déportés outre-Rhin pour servir de main-d’oeuvre forcée. Parmi eux, nombreux seront ceux qui refuseront de travailler pour l’Occupant. Parqués dans des camps, ils seront maltraités, soumis au chantage et à la faim pendant des mois, avant d’être rapatriés faute d’avoir cédé. C’est notamment le cas de Léon Frérot, entrepreneur biesmois (ancien village aujourd’hui situé dans l’entité de Mettet), envoyé pendant 254 jours à Cassel et dont le carnet, décrivant son expérience au jour le jour, a été reproduit dans La déportation des ouvriers belges en Allemagne(2).

On y découvre, dans un texte perclus de fautes d’orthographe, la dénutrition qui tourne la tête et la bravade quotidienne de ces civils face à l’impuissance rageuse des allemands ( » Quelle rage ils ont de voir tous ces hommes affaiblis par la faim et le froid et qui défilent devant eux la voix forte et le sourire de dédain sur les lèvres. On rit de leur menace et cela les rend plus féroces encore « ). Une crânerie et une résistance qui ne seront pas sans conséquences, puisque les mauvais traitements subis en Allemagne seront fatals à de nombreux déportés.

Mais qui, avant la publication de ce livre, s’en souvenait ?

1. Les survivants du boyau de la mort, Lettres de deux jeunes Wallons en 14-18, Marcel Bolle de Bal, Bruxelles, éditions Safran, 190 pages.

2. La déportation des ouvriers belges en Allemagne, d’après le journal de Léon Frérot (Biesme), Jean-Louis Van Belle, Bruxelles, éditions Safran, env. 150 pages.

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