Prêtez de l’argent à vos enfants

Comment faire et comment éviter un conflit familial ?

Contenu :

Sur papier de préférence
Un prêt d’argent est un « prêt à la consommation »
Les conditions
Du prêt à la donation
Votre beau-fils/belle-fille paie aussi ?
Prêt et héritage des parents
La preuve de la dette
Un effet sur les impôts

Les parents apportent souvent un soutien financier à leur(s) enfant(s). Pour construire ou acheter une maison ou pour démarrer leur propre affaire. Crise de crédit aidant, les demandes d’aide financière risquent bien de se multiplier à l’avenir. Mais on ne se rend pas toujours compte de la complexité d’un prêt de parents à enfants, ni des conséquences qu’il peut avoir.

Sur papier de préférence

Les paroles s’envolent, les écrits restent, disait déjà le proverbe latin. Une incontournable vérité qui a plus que sa place dans le monde juridique. S’il arrive qu’il faille prouver quelque chose, il vaut mieux que les accords pris aient été clairement notés. C’est valable aussi lorsqu’un parent prête de l’argent à un enfant. La réalité nous montre qu’il n’est pas rare de voir éclater d’intenses discussions à propos d’un tel prêt, surtout après le décès des parents. L’enfant qui en a bénéficié affirme qu’il s’agissait d’un don, ses frères et soeurs restent convaincus que ce n’était qu’un prêt. Soyez donc clair comme de l’eau de roche dès le début. S’il est bien question d’un prêt et rien d’autre, générant ou non des intérêts et qui devra être remboursé un jour, mettez tout cela sur papier.

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Un prêt d’argent est un  » prêt à la consommation « 

Prêt = propriété perdue. Le prêt d’une somme d’argent est un cas d’école de ce qui s’appelle en droit un  » prêt à la consommation « . Contrairement au prêt à usage, la somme prêtée ne doit pas être rendue en nature mais en équivalent ! L’emprunteur doit rendre des biens de même type et en même quantité. S’il s’agit d’un prêt d’argent, il faut donc rendre de l’argent. Dans le cas d’un prêt à la consommation, la propriété du bien prêté est transférée à l’emprunteur et le parent prêteur la perd donc définitivement. Ce dernier ne pourra donc plus en réclamer la restitution sur base d’un droit de propriété. Si l’enfant fait faillite ou s’il se retrouve dans une procédure de règlement collectif de dettes (lorsqu’il y a de nombreuses dettes et que leur règlement est géré par un médiateur de dettes, sous le contrôle du tribunal), les parents deviennent des créanciers ordinaires de leur enfant. Ils devront se contenter d’un partage équitable entre les différents créanciers.

Valeur nominale. Puisqu’il s’agit d’un prêt d’argent, on applique le principe de nominalisme. Ce qui signifie qu’en principe seul le capital emprunté doit être remboursé, compte non tenu d’une éventuelle plus-value ou moins-value.

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 » Oui, mais...  » : les conditions

Il est aussi fortement recommandé de reprendre les conditions et modalités de l’emprunt dans une convention écrite. On y retrouvera de préférence les points suivants :

  • Destination du prêt

Mieux vaut préciser l’usage auquel est destiné l’argent (par exemple, rénovation, achat d’un terrain à bâtir ou d’une voiture...). A défaut, vous risquez de voir la prunelle de vos yeux investir l’argent dans l’achat d’une rutilante Porsche... ce qui n’était probablement pas votre but.

Bon à savoir En Flandre, les parents ou amis qui prêtent de l’argent (25.000 ? max) à quelqu’un qui veut rénover une maison délabrée, bénéficieront bientôt d’une déduction de 2,5% sur 8 ans.

  • Délai de remboursement

Convenez d’une échéance de remboursement précise : votre enfant sera obligé de vous rendre l’équivalent de l’argent emprunté à ce moment-là. De votre côté, vous n’avez pas le droit de réclamer l’argent avant cette date (sauf circonstances spécifiques stipulées dans le contrat de prêt).

Si vous n’indiquez pas de délai de remboursement, vous octroyez un prêt à durée indéterminée. Vous pouvez alors exiger le remboursement de la somme prêtée à tout moment, sans délai de préavis. Dans le pire des cas, le juge peut, en fonction des circonstances, accorder un sursis à l’emprunteur (art. 1900 du Code civil).

  • Taux d’intérêt

Si vous avez d’autres enfants, nous vous conseillons d’assortir le prêt d’intérêts. Le taux applicable peut être fixé librement dans le contrat. Les parents prendront pour référence un taux d’intérêt conforme au marché (plutôt qu’en considération du lien familial). S’ils conviennent de demander des intérêts mais sans en préciser le taux, c’est en principe le taux d’intérêt légal qui s’applique (il était de 7 % en 2008). Le cas échéant, des intérêts de retard peuvent être prévus en cas de non-remboursement aux échéances prévues. Pour éviter des pratiques abusives, le législateur a fixé des limites en la matière: ces intérêts de retard ne peuvent pas dépasser 0,5 % par an sur le capital restant à rembourser (art. 1907 Par. 3 du Code civil).

  • Garanties éventuelles

Une dernière partie du contrat de prêt peut éventuellement concerner les garanties que vous demandez à votre enfant. Etant donné le contexte familial de la transaction, les parents n’en demandent généralement pas. Si le prêt porte sur un montant important, de telles garanties sont toutefois conseillées, à titre de protection non seulement des parents prêteurs mais aussi pour les autres enfants, futurs co-héritiers. La garantie peut prendre la forme d’une hypothèque sur un bien immobilier appartenant à l’enfant ou d’une mise en gage (nantissement) de biens mobiliers, comme des titres en portefeuille.

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Du prêt à la donation

Un jour, vous avez fait un prêt à un de vos enfants. Pouvez-vous aujourd’hui convertir ce prêt en une donation ? Oui, absolument. Les parents peuvent à tout moment établir un document (par exemple, une lettre recommandée) par lequel ils donnent quittance à leur enfant pour le solde de la dette. Une telle quittance est considérée juridiquement comme une donation indirecte. Elle sera traitée comme toute autre donation et aura, au niveau du droit successoral, les mêmes conséquences qu’un don manuel, par exemple, une donation via la banque ou une donation devant notaire. Les techniques de rapport et de réduction sont donc aussi d’application et il faut donc bien veiller à ce que cette donation n’entraîne pas d’inégalité entre les enfants.

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Votre beau-fils/belle-fille paie aussi ?

Si, comme parents, vous prêtez de l’argent à votre fils/fille pour mener à bien un important projet de vie et qu’il/elle est marié(e), se pose bien évidemment la question de savoir si le partenaire doit participer au remboursement. Cela dépend, pour beaucoup, du régime matrimonial sous lequel votre enfant est marié.

  • Si votre enfant est marié sous un régime de communauté de biens, la dette d’emprunt sera une dette propre dans la mesure où l’emprunt a été contracté dans l’intérêt de ses propres avoirs.
    Exemple Votre fils Nicolas a reçu par donation un appartement d’une généreuse tante et il vous emprunte de l’argent pour des travaux de rénovation. Ce prêt restera une  » dette propre  » de votre fils.

Mais la plupart du temps, la dette sera une dette commune. A fortiori si les deux conjoints ont signé le contrat de prêt. Est également commune la dette engagée par un des conjoints pour les besoins du ménage (par exemple, l’achat d’une nouvelle cuisine ou d’une voiture) ou pour l’éducation du/des enfant(s). Sont enfin communes, les dettes contractées par un des conjoints dans l’intérêt du patrimoine commun.
Exemple Votre fils Nicolas et sa femme Catherine ont acheté ensemble un terrain à bâtir. Pour la construction, ils empruntent en partie à la banque, en partie auprès de vous.

Sachez que le créancier (vous) ne peut récupérer une dette  » propre  » que sur les avoirs propres du débiteur. Une dette  » commune  » par contre est récupérable sur les biens propres de chacun des conjoints ainsi que sur le patrimoine commun. Autrement dit, s’il s’agit d’une dette commune, votre beau-fils/belle-fille devra participer au remboursement... même après divorce !

  • Si votre enfant est marié sous un régime de séparation de biens, les dettes restent en principe personnelles et le créancier ne peut pas se faire rembourser sur les biens de l’autre conjoint. Mais si la dette a été contractée par les deux conjoints (ils ont signé tous deux le contrat de prêt), le créancier peut récupérer son dû sur le patrimoine de chacun des deux conjoints.

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Prêt et héritage des parents

On préfère ne pas y penser, mais l’éventualité est là : que se passe-t-il si le(s) parent(s) décèdent avant que l’enfant n’ait remboursé sa dette ?

Afin de garantir l’égalité de traitement entre les héritiers, la succession doit être  » recomposée  » et les donations faites antérieurement doivent être rapportées. A supposer qu’un des héritiers, en raison d’une précédente donation, entame la réserve des autres héritiers réservataires (parent, enfants), il devra rendre la part excédentaire à sa propre réserve (= réduction). Contrairement aux donations, le législateur est discret sur le rapport des dettes. Conséquence : les avis des juristes divergent à ce propos, même deux siècles après l’introduction du Code civil... nous vous épargnons les détails !

  • L’emprunt vient à échéance

En cas de décès du prêteur, l’emprunt est exigible à concurrence de la part de l’héritier emprunteur, même si le délai de remboursement n’est pas encore expiré. La dette est imputée sur la part d’héritage. Les cohéritiers ne peuvent pas faire saisir les biens de l’héritier emprunteur pour le remboursement de sa dette, sauf s’il apparaît, après partage, que la dette dépasse sa part d’héritage.

Exemple La part d’héritage de Nicolas s’élève à 60.000 ? et il avait emprunté 25.000 ? à ses parents. Au décès de ses parents, sa dette est encore de 20.000 ?. Ce montant sera déduit de sa part et il ne recevra donc plus que 40.00 ?.

  • Décès d’un parent, emprunt aux deux

Lorsque l’enfant a emprunté à ses deux parents et que, par exemple, son père vient à décéder, il ne doit rapporter que la moitié de sa dette à la succession de son père. L’autre moitié de la dette d’emprunt sera rapportée au décès de sa mère.

Exemple La part d’héritage de Nicolas sur la succession de son père est de 30.000 ?. Il doit encore rembourser 20.000 ? à ses deux parents. Sa part d’héritage sera amputée de la moitié de la dette restante (10.000 ?) et il ne recevra donc que 20.000 ?. Il devra continuer à rembourser le solde de la dette (les autres 10.000 ?) à sa mère.

Bon à savoir Supposons que les parents de Nicolas soient mariés sous un régime de communauté de biens et qu’ils aient prévu dans leur contrat de mariage une clause  » au dernier vivant tous les biens  » tous les biens vont au conjoint survivant et les enfants n’hériteront qu’au décès du second parent. Dans ce cas, il ne sera tenu aucun compte de l’emprunt de Nicolas au décès du premier parent. Il devra tout simplement continuer à rembourser sa dette à l’autre parent. Et si, au décès de l’autre parent, le remboursement n’est pas totalement terminé, il devra rapporter la part restante de l’emprunt.

  • L’enfant renonce à la succession

Un héritier qui renonce à la succession et qui avait bénéficié d’une donation par le passé peut conserver cette donation. Mais l’héritier qui avait emprunté au défunt et qui renonce à sa succession reste débiteur !

  • Enfant et conjoint ont emprunté ensemble

Votre fils/fille et son conjoint vous empruntent de l’argent ensemble ? Dans ce cas, seul votre enfant est tenu de rapporter sa part de la dette à la succession. Son conjoint n’a rien à rapporter puisqu’il/elle n’hérite pas de ses beaux-parents.

Exemple Nicolas et sa femme Catherine avaient emprunté 20.000 ? aux parents de Nicolas et, au décès du père de Nicolas, la dette est encore entière. Seul Nicolas doit rapporter à la succession de son père et il verra sa part diminuée de 5.000 ? : il doit 10.000 ? à ses deux parents et il doit donc en rapporter la moitié à la succession de son père (5.000 ?). Sa femme Catherine n’a rien à rapporter à cette succession puisqu’elle n’hérite pas de son beau-père.

  • Héritage en nature

Que se passe-t-il lorsque l’enfant emprunteur souhaite rembourser sa dette à la succession pour préserver sa part en nature des biens de la succession ? Selon certains auteurs, ce n’est possible qu’avec l’accord des cohéritiers. Prudence donc ! Si l’héritier emprunteur veut être sûr de conserver ses droits en nature sur l’héritage, il est préférable qu’il acquitte sa dette avant le décès du prêteur. Inversement – et ce serait un soulagement pour l’enfant emprunteur – les cohéritiers peuvent ne pas exiger qu’il rapporte en nature la dette qu’il a encore. Autrement dit, ils peuvent ne pas obliger l’enfant emprunteur à rembourser le solde restant dû.

  • La dette dépasse la part d’héritage

La partie de la dette qui excéderait la part d’héritage de l’enfant emprunteur resterait tout simplement due après le décès du parent prêteur et ce, sous les conditions et modalités prévues dans le contrat de prêt initial.

Exemple Nicolas a une dette de 70.000 ? envers ses parents. Ceux-ci décèdent dans un accident de la route. Sa part d’héritage s’élève à 60.000 ?... qui serviront à  » éponger  » (mais pas totalement) sa dette et il ne recevra donc rien. En outre, il devra continuer à rembourser les 10.000 ? restants à ses frères et soeurs.

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La preuve de la dette

Les cohéritiers d’un enfant emprunteur peuvent prouver par tous moyens de droit l’existence d’une dette et son importance. L’enfant emprunteur risque gros si, jouant la mauvaise fois, il veut cacher l’existence d’une dette d’emprunt. Il se rend en effet coupable de recel d’héritage, avec toutes les conséquences que cela entraîne. Si cela vient au jour, il perdra tous ses droits sur les actifs dissimulés. Il sera contraint d’accepter la succession (il n’aura plus le droit d’y renoncer), ce qui serait évidemment problématique si la succession contenait plus de passif que d’actif.

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Un effet sur les impôts

Relevons enfin le fait qu’un emprunt qui n’est pas totalement remboursé le jour du décès du prêteur a des conséquences au niveau fiscal. Le solde restant dû de la dette d’emprunt fait en effet partie des actifs de la succession. Il doit donc être repris dans la déclaration de succession et des droits de succession seront dus.

Nous écrivions plus haut que les parents prêteurs peuvent à tout moment donner quittance de la dette d’emprunt et transformer ainsi ce dernier en donation. Si pareille quittance se fait dans les trois ans précédant le décès et sans que des droits de donation aient été acquittés sur cette opération, le montant de la donation sera repris dans la masse successorale et ici encore, des droits de succession seront dus.

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