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Pensions: à quelle sauce allons-nous être mangés?

Pour payer nos pensions, le système doit être revu de fond en comble affirment les spécialistes. Le gouvernement a déjà adopté certaines mesures, mais travailler plus longtemps ne suffira pas.

 » La question des retraites dépend du marché de l’emploi, lui-même variable, et surtout du contexte économique, analyse Bruno Colmant, Head of Macro Research, Banque Degroof Petercam. Aujourd’hui, les cotisations sociales permettent encore de financer les pensions. Mais le pic du problème surviendra d’ici une dizaine d’années, quand toute la génération des baby-boomers sera retraitée. On ne résoudra pas ce problème avec une mesurette. Il faudra réduire les pensions les plus élevées, maintenir les pensions basses et augmenter les cotisations. Il faudra peut-être même prélever un impôt supplémentaire pour pouvoir financer les pensions. Mais il sera de toute façon impossible de continuer à les payer dans un contexte de faible croissance économique et d’inflation, comme c’est le cas actuellement. Notre PIB croît moins vite que les dépenses liées aux retraites. La crise de 2008 a considérablement accéléré ce mécanisme. On avait prévu ces difficultés à terme, sauf que la crise de 2008 a anticipé le problème d’une vingtaine d’années. « 

Vers un système de pensions unique ?

La solution ne réside-t-elle pas dans un système unique de pensions, sans distinction de salaire ou de statut (employé/fonctionnaire/indépendant) ?  » Je ne pense pas, répond Bruno Colmant. Les fonctionnaires ne touchent pas de prime de fin d’année, n’ont pas de pension complémentaire, d’assurance-hospitalisation ni d’autres avantages extra-légaux. Il leur est donc plus difficile de mettre de l’argent de côté. C’est différent pour les indépendants : ils évoluent au sein d’un système où l’Etat les aide moins mais où ils cotisent également moins. A partir du moment où de plus en plus de gens deviennent indépendants à un moment de leur carrière, on va devoir leur demander de cotiser plus s’ils veulent toucher une pension raisonnable. Cela dit, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de vouloir dès à présent harmoniser ces trois systèmes parce que le contexte et les paramètres sont trop variables. « 

Travailler plus longtemps, avec moins d’emplois ?

Faire travailler les gens plus longtemps est une chose, encore faut-il qu’il y ait du travail pour tout le monde, en particulier après 50 ans. N’y a-t-il pas là comme un paradoxe ?  » La numérisation de l’économie détruit énormément d’emplois, confirme Bruno Colmant. La quantité de travail disponible s’est réduite, surtout dans le secteur tertiaire, or 70% de notre économie repose sur le tertiaire ! C’est pourquoi il est difficile de garder son emploi ou d’en retrouver un passé 50 ans. Aujourd’hui, une carrière dure réellement 25 ans ! On trouve du travail grosso modo entre 25 et 50 ans, alors qu’on nous demande de travailler pendant 45 ans. On se trouve là face à un problème social de fond. On a élevé l’âge de la pension mais on ne garantit pas le travail. Celui qui ne trouve plus d’emploi passé 50 ans se voit infliger la double peine : ne plus toucher de salaire, juste une allocation, et donc voir le montant de sa pension légale raboté. Il va falloir absolument maintenir les pensions au-dessus d’un minimum et évoluer vers une pension de base. « 

Trop peu d’informations !

Selon une enquête menée par le fonds de pension Ogeo Fund (octobre 2016), 80% des personnes interrogées estiment être mal informées sur leur pension. 82% pensent qu’obtenir chaque année une projection de leur future pension permettrait de mieux s’y préparer. Par ailleurs, on note un besoin d’information sur le montant net de la pension, sur le calcul de la pension, sur la date à partir de laquelle on peut la percevoir et sur les avantages et les inconvénients du versement de la pension complémentaire sous forme de rente ou de capital.

Vers un système individualisé

 » Pour assurer la survie de notre système de pensions, il faudra l’individualiser davantage, estime Bruno Colmant. L’employé qui a pu s’assurer une bonne pension complémentaire grâce à son employeur recevra peut-être moins d’aide de la part de l’Etat. C’est en tout cas cela que j’appréhende. Faut-il rendre obligatoire la pension complémentaire ?  » Pas obligatoire mais accessible à tout le monde, nuance Bruno Colmant. Cela peut se faire via un système collectif ou individuel, voire les deux. Le troisième pilier – l’épargne-pension fiscalement intéressante conclue via une banque ou un assureur – pourrait être plus flexible. On devrait augmenter le montant fiscalement déductible, tout en rendant l’avantage fiscal dégressif. Plus on parvient à épargner, moins on bénéficie d’avantage fiscal. Sans quoi les avantages ne profitent qu’aux plus riches. Cela permettrait toutes sortes d’aides mais en respectant une ligne directrice: une meilleure individualisation. « 

Rente ou capital ?

La pension complémentaire est actuellement versée au titre de capital. Les versements sous forme de rente remportent très peu de succès en Belgique. Faut-il maintenir le choix entre rente et capital ?  » Je crois que l’objectif à long terme de l’Etat, c’est de rendre la rente obligatoire ou, à tout le moins, moins taxée que la prise du capital. Et adapter la pension légale en fonction du montant de cette rente.  » Mais cela exigera un gros changement de mentalité, car les Belges considèrent leur assurance-groupe comme un bas de laine, une épargne, et non comme une pension.  » C’est vrai, admet Bruno Colmant. Nous avons peur de toucher à notre capital ! Aux Etats-Unis, on pense différemment. L’Américain moyen travaille, épargne un peu et dépense son argent. Pas nous. On dirait qu’ici, tout le monde a envie de mourir riche, mais pourquoi ? « 

Ne surestimez pas l’épargne-pension

Tout le monde ne bénéficie pas d’une pension complémentaire. Et ceux qui prennent leur retraite aujourd’hui n’ont pas forcément pu mettre de l’argent de côté pendant toute leur carrière : à l’origine, la pension complémentaire était réservée aux happy few. En revanche, nous sommes nombreux à avoir souscrit à l’épargne-pension, même s’il ne faut pas trop en attendre.  » On croit trop facilement que les montants épargnés via l’épargne-pension vont assurer le confort de nos vieux jours. Il n’en est rien ! C’est un petit extra, rien de plus, même pas de quoi parler de réel complément à la pension légale « , analyse Bruno Colmant.

On entend souvent dire que pour faire fructifier son argent, il faut investir en bourse. Mais qu’en matière d’épargne-pension, à partir de 55 ans, mieux vaut passer à un portefeuille flexible, composé de fonds défensifs comprenant moins d’actions. Est-ce toujours valable ?  » Oui, assure Bruno Colmant. En matière d’actions, on applique la règle de 100 moins l’âge. Si vous avez 65 ans, vous pouvez vous permettre d’investir 35% en actions. Il faut avoir du temps devant soi pour investir en bourse. Quand on approche de la pension, cela devient moins évident. D’où l’idée de jouer une carte moins risquée et de passer, dès 55 ans, à un fonds d’épargne-pension plus défensif. « 

Votre maison, le 4e pilier

Quand on est propriétaire de son habitation, faut-il la considérer comme le 4e pilier ?  » A mon avis oui, déclare Bruno Colmant. Cet avoir vous met en grande partie à l’abri. C’est pourquoi je trouve dommage qu’on verrouille de plus en plus les avantages fiscaux liés à la propriété. «  Bruno Colmant défend-il l’idée de l’hypothèque inversée (vous rendez votre maison à la banque et celle-ci vous verse une rente à la place) ?  » Oui, absolument. L’hypothèque inversée n’existe pas encore chez nous mais je suis totalement pour. « 

Les mesures déjà envisagées

Aujourd’hui, travailler plus de 45 ans ne donne pas droit à un supplément de pension mais les années les plus favorables sont prises en compte. Dès 2018, quand on travaillera plus de 45 ans, on verra sa pension augmenter. Mais une fois 45 années de carrière révolues, on ne tiendra plus compte que des jours de travail réellement prestés. Si, en fin de carrière, vous êtes prépensionné ou tombez malade, ce sont – contrairement à aujourd’hui – les premières années de votre carrière qui seront prises en compte, or elles sont en général moins avantageuses que les périodes de prépension en fin de carrière.

Si vous cumulez 30 ans de carrière au sein d’un système (salarié ou indépendant), vous avez droit à la pension minimum. Si vous cumulez 20 ans de carrière (sans assimilation) dans un ou deux des systèmes, voire dans les trois (employé, indépendant et fonctionnaire), vous avez également droit à la pension minimum.

Certaines périodes assimilées seront prises en compte de manière moins favorable. Le gouvernement Di Rupo a décidé de prendre en compte le chômage de la 3e période sur base de l’indemnité annuelle minimum en lieu et place du dernier salaire (plafonné). Or cette indemnité de chômage est très inférieure au salaire. Le gouvernement Michel vient de décider d’assimiler de la même façon le chômage de la 2e période qui commence, lui, après un an sans travail, pour une durée maximale de 36 mois. Une personne restant plus d’un an sans travail ne verra donc pas prises en compte de la même façon (sur base des indemnités annuelles minimum) les périodes chômées ultérieures. Imaginons qu’après une période de chômage vous retrouviez du travail, puis que vous le perdiez à nouveau : vous vous retrouvez en chômage de 1ère période, une période qui comptera  » plus  » pour le calcul de votre pension.

A terme, le rachat des années d’études se fera de la même façon pour les employés, les fonctionnaires et les indépendants.

Par Annemie Goddefroy et Annick De Meyere

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