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Le grand retour du viager !

Alors que l’épargne ne rapporte plus rien, la vente de maisons et d’appartements en viager a le vent en poupe. Et contrairement à avant, on ne conclut presque plus de viager à vie... Une formule intéressante ?

Une vente en viager est un contrat aléatoire. Le vendeur ou crédirentier cède un bien, par exemple sa maison, contre le versement d’une rente viagère. L’acheteur aussi appelé débirentier doit lui verser un montant mensuel prédéterminé jusqu’à son décès. Le contrat peut prévoir le paiement d’une somme, appelée bouquet, à la conclusion de la vente, ainsi que la réserve d’usufruit. Cette dernière permet au vendeur de continuer à occuper le logement ou de le mettre en location.

Le prix final payé par l’acheteur dépend directement de la durée de vie du vendeur. Si le crédirentier décède rapidement, l’acheteur fait une bonne affaire. S’il dépasse son espérance de vie, le débirentier paiera plus que la valeur du bien. C’est précisément pour cette raison que le viager est un contrat aléatoire. L’existence d’une chance de gain ou d’un risque de perte est essentielle à la validité d’un contrat aléatoire.

Le viager « moderne »

On ne conclut presque plus de contrats de viager à vie. Avec la progression de l’espérance de vie, le nombre de centenaires augmente. Et personne ne veut encore courir le risque d’acheter le logement en viager du prochain doyen de l’humanité ! La plupart des viagers prévoient donc une durée maximale. Elle est souvent de 15 ans, voire 20 ans. Le viager demeure donc un contrat aléatoire, mais avec un risque calculé pour l’investisseur.

Le contrat de viager s’adapte dorénavant aux besoins. Il peut prévoir une indexation de la rente. Elle peut être plafonnée à, par exemple, 2 % par an afin de limiter les risques. La rente viagère peut être constituée sur une tête (par exemple l’épouse) ou plusieurs têtes (les deux conjoints).

Les biens mobiliers aussi

Contrairement à ce que beaucoup pensent, un contrat de viager peut aussi porter sur des biens mobiliers comme du liquide ou des titres. Des banques et compagnies d’assurances proposent des formules de rente viagère. Vous donnez un certain montant à votre assureur (100.000 euros, par exemple) qui s’engage en contrepartie à vous verser une rente mensuelle à vie. Elle dépendra de votre âge et des taux d’intérêt. Cette formule n’est pas très attractive actuellement en raison des taux historiquement bas. La vente en viager de biens mobiliers est toutefois encore pratiquée régulièrement, notamment pour la transmission d’une entreprise familiale.

Planification successorale

La vente avec rente viagère est également utilisée dans le cadre de la planification successorale. Le principal atout du viager est la possibilité d’établir un contrat sur mesure. Le viager constitue parfois une bonne alternative aux donations ou pour conserver un bien immobilier dans la famille. Le transfert de propriété est immédiat à la signature du contrat. Admettons que le contrat est signé aujourd’hui et que le parent décède peu après, le bien cédé n’apparaîtra pas dans la succession. Évidemment, il doit toujours s’agir d’un contrat réellement aléatoire, le vendeur ne peut, par exemple, pas être en phase terminale, et le prix convenu doit être conforme à la valeur réelle du bien. Vous devez aussi veiller à éviter la requalification en  » legs fictif  » qui aurait pour effet de ramener le bien dans la succession. Soulignons que la vente en viager d’une maison à votre enfant (ou à un autre héritier) est présumée constituer une avance sur sa part successorale, à moins de prouver le contraire. L’héritier doit pouvoir prouver que le montant de la rente mensuelle est conforme à la valeur réelle du bien et qu’elle a été payée par virement chaque mois. Il ne peut s’agir d’une avance sur héritage. La vente en viager à un héritier est notamment utilisée pour s’assurer qu’un bien immobilier (par exemple un appartement sur la digue) demeure dans le patrimoine familial, qu’il ne doive pas être vendu pour payer les droits de succession.

La durée d’un viager est souvent de 15 ans, voire 20 ans. C’est un contrat aléatoire, mais avec un risque calculé.

Le viager est également utilisé comme outil de planification successorale quand les parents veulent éviter qu’un bien ne se retrouve dans leur succession, tout en continuant à percevoir des revenus pour garder un train de vie. La vente en viager peut également être combinée à d’autres outils de planification successorale.

Si vous optez pour la vente en viager, il est indispensable de fixer une rente conforme à la valeur réelle du bien. Une légère sous-évaluation ne devrait pas poser de problème, mais la différence ne peut pas être trop élevée.

Décès et fiscalité

Si l’acheteur décède avant le vendeur, ses héritiers doivent continuer à verser la rente viagère. Les héritiers suppléent pour ainsi dire l’acheteur. Enfin, lors de la vente d’un bien immobilier en viager, l’acheteur doit s’acquitter des mêmes droits d’enregistrement que pour une vente classique, à savoir 6% en Wallonie, 10 % en Flandre et 12,5 % à Bruxelles. La rente viagère n’est pas taxée dans le chef du vendeur pour autant qu’elle soit payée par un particulier. Si le bien a été vendu en viager à une société, le crédirentier devra par contre s’acquitter d’un impôt sur la rente perçue.

Quelques ventes réalisées récemment

Heverlee. Villa sur 20 ares. Viager occupé. Valeur 370.000 euros. Bouquet 25.000 euros. Rente 1.400 euros sur couple 78 et 83 ans. Sur une durée de 15 ans.

Ganshoren, av Paola – Appt 1 ch. Viager Libre, valeur 160.000 euros.- Bouquet 25.000 euros + 850 euros rente. Dame 75 ans et monsieur de 83 ans. Durée 15 ans.

Westende, appt 1 ch. Viager libre. Valeur 105.000 euros – Bouquet 25.000 euros. Rente 550 euros. Couple de 73 et 79 ans. Durée de 15 ans.

Gaétan Bleeckx, notaire: « Un complément à la pension légale. »

Vendre en viager à ses enfants, est-ce une bonne idée pour réduire les droits de succession ?

Gaétan Bleeckx est notaire à Saint-Gilles et porte-parole de la Fédération des notaires pour Bruxelles.
Gaétan Bleeckx est notaire à Saint-Gilles et porte-parole de la Fédération des notaires pour Bruxelles.© Frédéric Raevens

Gaétan Bleeckx : La vente avec rente viagère concerne très rarement parents et enfants. Je n’ai personnellement jamais rencontré ce cas. Pour qu’une vente viagère tienne la route, il faut absolument que les deux parties suivent les règles, que l’acquéreur paye réellement la rente. Lorsque vous vendez à vos héritiers, au moment du décès du vendeur, le fisc considérera que c’est une fiction (présomption légale dans le code des successions). En clair ? Le montant de la valeur du bien sera repris dans la déclaration de succession. Sauf si l’acquéreur héritier peut démontrer qu’il a réellement payé les rentes viagères.

Arrive-t-il que le viager soit utilisé pour déshériter ses enfants ?

Indirectement, oui. La vente viagère se réalise alors sans que les enfants soient au courant de l’opération. Le vendeur discret conservera l’usufruit. Il vivra dans ses murs. Les héritiers découvriront que l’habitation a été vendue le jour du décès. S’il existe des demandes de renseignements sur le viager comme moyen de déshériter ses enfants, cela ne se concrétise pas vraiment dans les faits.

Vendre à d’autres personnes de la famille ?

Ce qui est plus fréquent, c’est une vente avec rente viagère à un neveu ou à une nièce. Le système peut être utilisé pour payer moins de droits de succession. Mais pour que cela ne devienne pas une donation déguisée, la rente doit être payée durant toute la durée de l’opération. La valorisation et le montant de la rente seront toujours crédibles. Les notaires disposent d’un logiciel pour calculer la rente. Le calcul se fait selon la valeur du bien, le bouquet et un rendement, par exemple de 2 % ou 3 %. Ceci étant, la taxation sur les donations immobilières a diminué depuis 2016. Ce qui rend la vente avec rente viagère moins attrayante.

Et à un voisin, à un ami ?

J’ai déjà eu le cas. Une personne âgée n’a pas d’héritiers. Et comme le voisin l’aide depuis des années, comme la maison doit subir de grosses rénovations, le vendeur en viager pense à son voisin. Ce qui peut arriver, les années passant, c’est que le vendeur dise à son voisin :  » Je n’ai plus besoin de cette rente, tu me rends tellement de services...  » Ce n’est pas sans danger. Imaginons que la personne âgée soit mise sous administration de biens (administration provisoire), car elle ne peut plus gérer son patrimoine, l’avocat qui sera désigné par un juge de paix constatera que la rente n’est plus payée. Il va demander l’annulation de la vente. L’acquéreur aura tout perdu, même les rentes versées ! Le rôle du notaire est d’attirer l’attention des acheteurs sur les risques. Si le vendeur souhaite mettre fin au paiement de la rente en échange de services, il passera par la rédaction d’un acte notarié.

Tout est-il possible en matière de viager ?

Les solutions sont multiples. On peut prévoir une clause en cas de départ du vendeur en maison de retraite. La rente sera augmentée à ce moment. L’acquéreur pourra disposer du bien en contrepartie. C’est le plus rationnel : le calcul de la rente tient compte de la valeur de l’usufruit.

Avez-vous un bon conseil de notaire à partager ?

Avant, les rentes étaient à vie (jusqu’au décès du vendeur). Elles sont aujourd’hui généralement limitées dans le temps. Si vous avez prévu un viager sur 15 ans et que vous avez 70 ans, vous garderez l’usufruit du bien. Et après ? Même si vous continuez d’occuper le bien, l’acheteur ne payera plus de rente. Il faut bien en être conscient. N’allez-vous pas vivre jusqu’à 95 ans ? N’oublions pas que l’opération viagère est souvent effectuée, car il y a un manque de revenus. C’est un véritable complément à la pension légale.

Une anecdote pour terminer ?

La loi dit que si le vendeur décède dans les 20 jours après la vente, elle est résolue (annulée). J’ai connu une vente où l’acte a été passé un 1er juillet et le vendeur est décédé un 25 juillet. La vente a été maintenue à quelques jours près. Cela signifie que l’acheteur est devenu propriétaire d’une belle maison à Bruxelles en ne payant qu’une seule mensualité ! Si une personne peut vivre très longtemps comme Jeanne Calment, il existe des cas extrêmes inverses.

Un vendeur est décédé 25 jours après la signature de l’acte. L’acheteur n’a payé qu’une mensualité pour une superbe villa !  » Gaétan Bleeckx

Daniel Domb, spécialiste: « Le viager permet au vendeur de maintenir son train de vie »

Daniel Domb est le responsable des ventes viagères pour le groupe immobilier Trevi.
Daniel Domb est le responsable des ventes viagères pour le groupe immobilier Trevi.© Frédéric Raevens

Existe-t-il des différences régionales ?

Daniel Domb : Le viager est actuellement plus répandu dans la partie francophone en Belgique. Nos ventes en viager se concentrent pour le moment à Bruxelles et dans sa périphérie, mais aussi à la côte. Comment l’expliquer ? Le viager est plus répandu en France. En Flandre, les investisseurs sont davantage tournés vers le monde anglo-saxon, avec des prises de risques différentes. Cela dit, le viager va clairement prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Il y a un changement de mentalité. Il est loin le temps où le viager était seulement vu comme une spéculation sur le décès d’une personne. Il s’agit désormais d’un contrat win-win. L’acheteur participe aussi à une dynamique positive. Il permet au vendeur d’améliorer ou de maintenir son train de vie.

Que représente aujourd’hui le viager en part de marché ?

Les ventes en viager représentent actuellement moins de 1 % du marché immobilier. Mais il ne serait pas étonnant qu’elles atteignent de 3 à 5 % dans les années à venir.

Pour quelles raisons vendre en viager ?

La capacité de l’Etat à honorer le paiement des pensions inquiète pas mal de personnes. Le viager est vu comme un complément de pension régulier et crédible. Les rentes sont généralement indexées (ce qui doit être précisé dans le contrat), il n’y a donc pas de mauvaises surprises. Les rentes viagères sont par ailleurs considérées comme le résultat d’une vente immobilière. Elles ne sont pas taxées à conditions qu’elles soient versées par un particulier. Le viager est clairement à envisager comme une seconde pension. D’autant que la méfiance envers les placements bancaires classiques n’a fait que croître ces dernières années.

Existe-t-il un profil type de vendeur ?

La plupart des vendeurs (de 70 à 75%) n’ont pas d’enfants. Ils souhaitent récupérer des liquidités de leur capital investi dans leur bien immeuble et profiter de revenus complémentaires. Pour d’autres, le viager est choisi par nécessité. Leur retraite est parfois insuffisante. Les dépenses quotidiennes sont en hausse, par exemple à cause de soins de santé en augmentation.

Viager occupé ou libre ?

Le viager occupé permet à la personne ou au couple (on parle de deux têtes) de continuer à occuper le logement tout en percevant une rente. Autrement dit, les vendeurs continuent à bénéficier de l’usufruit. Le viager occupé est clairement la formule la plus courante, elle représente chez nous de 90 à 95 % des contrats. L’autre type de viager, c’est le viager libre. Il concerne ceux qui ne résident pas ou plus dans leur habitation et qui ne souhaitent plus avoir les contraintes d’une gestion locative. L’acquéreur peut alors occuper le bien ou le mettre en location. La rente est alors plus élevée. Dans les deux cas de figure, un viager prend fin au décès du ou des vendeurs.

Quel est le profil de l’investisseur ?

Ceux qui investissent dans un viager sont généralement âgés de 35 à 60 ans. Ils sont propriétaires et n’ont pas besoin du support des banques. C’est une forme de placement immobilier en cas de viager occupé. L’acheteur bénéficiera d’une décote sur le prix et profitera de la plus-value immobilière. Cette décote correspond à l’abattement d’occupation par le vendeur. L’investisseur n’aura pas à gérer un locataire, l’occupant continuant à entretenir le bien. Ce type d’investissement est fiscalement neutre pour l’investisseur : le précompte et la déclaration du RC restent à charge de l’usufruitier occupant.

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