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Acheter, construire, rénover... Le grand casse-tête des normes belges

En Wallonie et à Bruxelles, les questions d’urbanisme font couler beaucoup d’encre ces derniers temps. En Flandre, ce sont les matières énergétiques qui s’inscrivent au centre des débats.

Un architecte pour une couche de peinture ?

Une Hennuyère a cru voyager en Absurdie quand, au printemps dernier, elle a voulu faire repeindre sa façade. Selon l’urbanisme, elle devait obligatoirement passer par un architecte et payer au minimum 2.000 ? de supplément. Du pain béni pour l’architecte ? Même pas.

En mai dernier, Lisa, une habitante de la région de La Louvière médiatise sa mésaventure. Elle souhaite faire repeindre la façade de sa vieille maison dont une partie est beige et l’autre blanche. Elle veut uniformiser le tout et redonner tout son lustre élclat à la demeure. Plus classe, plus propre, pense-t-elle. Oui, mais uniformiser, cela signifie pour l’urbanisme qu’elle va changer  » l’aspect architectural  » de son bien. Et c’est là que le bât blesse. Car elle doit désormais demander un permis d’urbanisme et donc faire appel aux services d’un architecte si elle compte changer la couleur de plus de 25 % de l’enveloppe de la maison.

Lisa se retrouve, comme tous les Wallons, soumise au CoDT, au Code du développement territorial de la Région wallonne. D’application depuis 2017, il a pour objectif, entre autres choses, de simplifier les démarches en matière d’urbanisme. Mais comme l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions, le CoDT n’est pas exempt de couacs. Et la façade de Lisa en est l’exemple type. Car si elle avait voulu faire repeindre sa maison à l’identique, elle ne devait rien faire, pas de démarches à entamer. Mais ici, elle touche  » à l’aspect architectural initial plus de 25 % de l’enveloppe du bâtiment « . Et ce n’est pas permis sans permis. Elle doit donc demander l’aide d’un architecte, simplement pour appliquer quelques couches de peinture. L’architecte, de son côté, va devoir se rendre sur place, mesurer, retracer les plans, remplir moult formulaires statistiques et autre notices d’incidence. Les frais d’architecte seront alors compris entre 2.000 et 3.000?. Lisa, procédure oblige, devra en outre attendre plusieurs semaines avant que son dossier ne soit traité et accepté (ou pas) par l’administration.

Pour vendre son bien à Bruxelles, on doit pouvoir en fournir un plan. A défaut, il faut en faire refaire un !

Les architectes sont-ils au moins ravis d’avoir plus de boulot et donc plus de rentrées financières ? La réponse est non. Robert Treselj, le président de l’Union wallonne des architectes, expliquait alors que la profession n’aime pas les demandes sans réelle utilité :  » Les architectes sont mal à l’aise avec ça. On passe pour des malhonnêtes. «  Bernard Chariot, architecte dans la région de Marche-en-Famenne, estime que,  » pour les clients c’est contrariant. C’est une belle somme à dépenser. Quant aux architectes, ils doivent monter un dossier inutile pour des gens contrariés. Ce n’est pas agréable ! Époque oblige, les clients n’hésiteront pas à négocier le prix. L’architecte risque de devoir composer un dossier inutile et non rentable. Personne n’est gagnant et, personnellement, j’espère ne pas avoir à traiter ce genre de dossiers « . La solution ? Des permis allégés pour ce genre de demandes. Des modifications en ce sens devraient être apportées au CoDT en 2019, indique-t-on au cabinet de Carlo Di Antonio, le ministre wallon de l’Aménagement du territoire.

Et à Bruxelles ? Et en Flandre ?

Les Flamands ne sont guère mieux lotis en la matière. Il leur faut un permis pour repeindre leur façade. Seuls les travaux sur les murs latéraux, les façades arrière et les toitures sont exemptés de permis.

Et à Bruxelles ? Il faut également demander un permis d’urbanisme pour repeindre sa façade. Seules certaines modifications sont dispensées de permis : sabler une façade; modifier la couleur d’une façade qui n’est pas visible depuis l’espace public; poser un cimentage sur la façade non visible depuis l’espace public. Mais attention, pour un bâtiment classé, il faudra demander un permis même pour repeindre une façade non visible du public.

Amnistie urbanistique, êtes-vous  » blanchi  » ?

L’urbanisme est une matière régionalisée. Alors, si vous habitez à Bruxelles, en Flandre ou en Wallonie, les services de l’urbanisme feront preuve de mansuétude (ou pas) en matière d’infractions urbanistiques passées.

Vous achetez un bien à Bruxelles ? Attention, la vente pourrait être retardée, même pour une véranda construite en... 1920 ! Le Code bruxellois de l’aménagement du territoire (Cobat) mentionne pourtant qu’il existe une prescription de 10 ans en cas d’infraction en matière  » de régularisation des travaux de minime importance effectués.  » Mais Olivier de Clippele, notaire à Bruxelles et par ailleurs mandataire MR, a lancé un pavé dans la mare. Celui qui achète un bien à Bruxelles ne peut être tenu pour responsable des travaux non conformes effectués par un ou plusieurs propriétaires précédents, sauf s’il a été mis au courant. Et c’est là que ça coince. Les notaires s’arrachent les cheveux en ce qui concerne les (trop nombreux) renseignements urbanistiques à fournir pour vendre un bien. Certaines communes feraient du zèle pour tout régulariser. Ce qui ulcère les notaires.

Olivier de Clippele dénonce que, dans des communes comme Bruxelles, Schaerbeek ou Ixelles, les fonctionnaires demandent des plans détaillés des biens à acquérir, les actes de propriétés, etc. Pourtant, un arrêté du gouvernement bruxellois parle de  » descriptif sommaire  » du bien à vendre. La réalité quelquefois est autre. Les renseignements d’urbanisme à fournir dans l’acte d’achat exigent des plans, des croquis à l’échelle, des hauteurs de plafond... Ce qui signifie aussi et surtout que l’acheteur ne peut plus prétendre à la non-connaissance de certaines irrégularités. Concrètement ? Le notaire explique qu’une véranda construite dans les années 20, alors que cinq propriétaires se sont succédé depuis dans l’habitation, peut arrêter une vente. Le délai de prescription de 10 ans ne court pas. Les exemples sont légion. Grenier aménagé, extensions en tous genres, caves transformées, living agrandi, toiture modifiée, fermeture d’une terrasse, remplacement de châssis... On sait que le bâti bruxellois compte de nombreuses  » surprises  » de ce genre.

Ceux qui ne possèdent pas un plan de leur maison (le cas de la majorité des vendeurs) doivent en faire refaire un par un professionnel. Un tiers des transactions rencontre des difficultés. Un grand nombre d’immeubles bruxellois ne sont pas réellement en règle ou ont été réaménagés à une époque où la réglementation était plus laxiste qu’aujourd’hui. Il faut alors demander un permis de régularisation.

Mais ce qui pend au nez dans les cas extrêmes, c’est une remise en état des lieux dans leur état initial et une amende. C’est pourquoi les infractions urbanistiques sont redevenues la bête noire des candidats acquéreurs à Bruxelles. C’est problématique, voire dramatique. Et de citer ceux qui vendent leur habitation pour en acheter une autre et qui ont besoin de leur argent. Ils peuvent être bloqués durant de longs mois dans leur projet. Coûteux. Inutile.

En Wallonie et en Flandre

La Wallonie, comme la Flandre d’ailleurs, connaissent a contrario une situation bien plus apaisée en la matière. Il y est même question  » d’amnistie  » urbanistique. Prenons l’exemple wallon. Un décret wallon entré en vigueur en décembre dernier permet d’effacer toute une série d’infractions urbanistiques. Lesquelles ? Celles qui concernent certains actes et travaux infractionnels réalisés avant le 1er mars 1998. Cela concerne les annexes, terrasses, vérandas, fenêtres de toit, abris de jardin, piscines, l’abattage d’arbres...

Si ces travaux ont été effectués sans permis (ou en méconnaissance du permis) avant mars 1998, ils ne sont plus considérés comme des infractions urbanistiques. Ils ne peuvent plus faire l’objet de poursuites pénales ou civiles.  » Un grand nombre d’habitations en Wallonie comportent au moins une infraction urbanistique. C’est donc un grand ouf de soulagement pour beaucoup de citoyens wallons « , explique-t-on à la Fédération royale du notariat belge. Ces infractions étaient susceptibles de créer des situations de blocage en cas de vente. Ce n’est plus le cas. Il y a désormais  » une sécurité juridique à toute une série de situations. Cela facilite bon nombre d’opérations immobilières. « 

Que doivent faire les Wallons pour régulariser leur situation ?  » Plus aucun permis de régularisation ne doit être introduit pour les actes et travaux amnistiés et plus aucune poursuite pénale, civile ou administrative ne peut être engagée. L’objectif est de mettre les nouveaux propriétaires à l’abri de vieux litiges qui pourraient ressurgir après l’acquisition d’un bien alors qu’ils n’ont pas réalisé les travaux en cause « , communique le cabinet du ministre wallon Carlo Di Antonio. Il existe cependant des exceptions à ces amnisties comme le fait d’avoir divisé (sans autorisation, cela va de soi) une maison unifamiliale en plusieurs appartements ou d’avoir construit en zone non constructible.

Flandre, l’énergie en obsession

Acheter, construire, rénover... Le grand casse-tête des normes belges
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Le débat actuel sur le logement en Flandre ? Il concerne surtout les normes énergétiques. Un niveau  » S  » attribue désormais une note aux qualités énergétiques de l’enveloppe d’une maison neuve. Sans rentrer dans des détails hyper techniques, les normes d’isolation, de chauffage, de ventilation et de surchauffe des bâtiments sont devenues plus strictes qu’à Bruxelles ou en Wallonie. Un autre exemple ? Comme la toiture est responsable de 20 à 30 % des pertes de chaleur, une norme d’isolation du toit plus sévère est entrée en vigueur. Les toits devront être isolés pour le 1er janvier 2020 au plus tard. Ils devront présenter un coefficient d’isolation thermique de minimum 0,75 m2K/W et respecter un coefficient de conductibilité thermique. Dans l’état actuel des choses, près de 400.000 habitations flamandes sont encore répertoriées  » non ou mal isolées « . Leurs propriétaires ne pourront plus louer leur bien s’ils n’isolent pas leur toit selon les nouvelles normes. Symptomatique de ce qui se passe au Nord. Là, les questions d’énergie, d’écologie et de sanctions sont véritablement au coeur des préoccupations.

Incomplétude wallonne

Ou quand une disposition permet de ralentir le traitement des dossiers... Si l’amnistie urbanistique est plus favorable en Wallonie qu’à Bruxelles, tout n’est pas pour autant parfait au sud du pays en matière d’urbanisme. L’Union wallonne des architectes (UWA) a, à ce sujet, lancé le site internet http://www.incomplet.be. Explications : le nouveau Code wallon du développement territorial (CoDT) est positif dans le sens où les dossiers pour obtenir un permis d’urbanisme ne peuvent plus (théoriquement) traîner comme avant. Par exemple, pour la transformation d’un bâtiment rural en vue d’y faire une habitation, la décision doit tomber dans les 115 jours. C’est certes long, mais c’est mieux que les 160 jours (en moyenne) d’avant. Le particulier reçoit donc des dates et des délais précis pour ses projets de construction/rénovation. Mais un mécanisme laissé à l’appréciation des communes permet de faire traîner ou même d’écarter certains dossiers, voire de masquer d’autres motifs de refus. L’UWA entend donc protester contre les  » dérapages que provoque une disposition du CoDT, permettant aux communes de refuser un dossier lorsqu’il est incomplet, et de demander aux architectes tous les documents nécessaires à la bonne compréhension du dossier. « 

Il est ainsi question du concept d’incomplétude. En clair ?  » Des dossiers sont déclarés incomplets parce que des communes exigent les plans dans un autre format informatique, des plans 3D pour une construction toute simple, la liste des essences utilisées pour végétaliser un terrain, etc. Et après deux refus pour incomplétude, l’architecte doit réintroduire la totalité du dossier. Alors que souvent, un simple coup de fil permettrait de régler le souci.  » Le  » bon vouloir  » de l’administration existe encore.

Une piscine, oui ; Une éolienne, non !

Et quand faut-il un permis d’urbanisme ? Lorsque les actes et travaux influencent l’environnement ou la stabilité d’un bâtiment. Certains travaux ne nécessitent cependant aucun permis. Cela concerne la construction d’un abri de jardin jusqu’à 20 m2 ou d’une piscine jusqu’à 75 m2. Par contre, et on s’en doute, la construction d’une maison demande un permis. Il en va de même pour le changement de la destination d’un bâtiment (changer une maison d’habitation en commerce); modifier la forme d’un toit; créer un appartement dans une maison; construire des boxes pour chevaux ou un garage; créer d’un mur de séparation entre deux domaines; installer une éolienne domestique. Cette liste n’est pas exhaustive.

Ça chauffe pour le mazout

Actuellement, en Belgique, 30 % des foyers utilisent le mazout pour se chauffer. Cette proportion devrait fondre comme neige au soleil dans les années à venir. Si les voitures diesel ont mauvaise presse, il en va de même pour le mazout de chauffage. Un pacte énergétique conclu entre l’Etat fédéral et les Régions vise à une énergie à 100 % renouvelable pour 2050. Les chaudières à mazout, réputées plus polluantes que celles au gaz, sont sur le grill. La combustion du mazout produirait 25 % de dioxyde de carbone en plus que la combustion du gaz.

Le gouvernement bruxellois a adopté, en juin dernier, le principe d’avancer à 2025 l’interdiction d’installer des chaudières à mazout pour le chauffage et l’eau chaude. Le remplacement d’une chaudière à mazout par un système plus performant (pompe à chaleur, chaudière à condensation, etc.) donnera droit, à partir de 2021, à une prime spécifique jusqu’en 2025. En Région bruxelloise, 16 % des installations de chauffage fonctionnent au mazout.

En Flandre l’interdiction des chaudières à mazout est tombée pour 2021 pour les constructions neuves et les rénovations énergétiques profondes. En Wallonie, la date butoir, c’est pour le moment 2035. Il sera toujours possible d’utiliser une chaudière à mazout après cette date, mais il ne sera plus possible d’en acheter une.

Des PV pour le PVC bruxellois

Pratique, relativement bon marché et nécessitant peu d’entretien, le PVC n’a néanmoins pas bonne presse dans la capitale de l’Europe.  » Il faut éviter de manière générale le PVC pour toutes les maisons de caractère « , c’est le conseil donné par le service d’urbanisme de Molenbeek. Cette notion de caractère est en réalité très vaste en Région bruxelloise où le remplacement de châssis et de portes d’entrée est quasiment interdit partout. S’il est possible de placer des châssis en PVC côté jardin, côté rue, c’est une autre paire de manches. La règle ? Le PVC est proscrit de manière générale  » pour toutes les maisons de caractère, en ZICHEE (zone d’intérêt culturel, historique, esthétique et d’embellissement) ou répertoriées, dans les PPAS (plan particulier d’affectation du sol). «  Le placement de châssis est soumis à permis d’urbanisme. Et le  » PVC sera accepté uniquement pour les immeubles sans cachet particulier où le remplacement des châssis, même en PVC, améliore la qualité de la façade. «  Pourquoi ? Car  » le PVC est un matériau qui ne permet pas de réaliser des châssis à l’identique (ceintrage difficile, surépaisseur des profils) ce qui nécessite systématiquement une demande de permis d’urbanisme et rallonge donc les délais pour mettre en oeuvre les travaux de rénovation de la façade. «  Que risquent ceux qui se passeraient de permis ? La visite d’un fonctionnaire ou la dénonciation d’un voisin pourrait coûter cher et vilain. Un PV d’infraction sera dressé. L’amende administrative peut atteindre les 25.000 ?.

Stop au béton et à la villa quatre façades !

Acheter, construire, rénover... Le grand casse-tête des normes belges
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 » Le terrain pour villa quatre façades va de plus en plus devenir un bien de luxe « , lance Sébastien Ladouce, directeur chez le constructeur Thomas & Piron. Grignoter le territoire wallon, c’est fini ! Et stopper l’urbanisation des champs c’est programmé dès 2025 et terminé en 2050.

Un plan  » stop au béton  » wallon prévoit de délimiter l’étalement urbain à 6 km2 par an dès 2025. En 2050, il sera tout simplement interdit de manger du territoire pour construire sur des terres non artificialisées. Entendez par-là toute surface retirée de l’état naturel (comme un bois) ou une terre agricole. L’objectif : lutter contre l’étalement urbain. Et laisser la Wallonie  » respirer « . Car entre 1985 et 2017, ce sont 16,2 km2 par an qui ont été artificialisés sur le territoire wallon, spécialement au détriment de terres agricoles. Pour info, 16,2 km2, cela représente 2.269 terrains de football ! La Wallonie suit la Flandre. Au Nord du pays, l’échéance du plan  » stop au béton  » débute en 2040, avec une période transitoire dès 2025. L’argument écologique est aussi avancé.  » Plus on habite loin des infrastructures, plus le nombre de voitures et d’embouteillages augmente, et plus la qualité de l’air se détériore « , estime Leo Van Broeck, le Bouwmeester (maître architecte) du gouvernement flamand.

Conséquences de ces plans ? Le prix des derniers terrains à bâtir grimpe. Et à moyen terme ? Il sera encore possible de construire, mais dans des centres ruraux et urbains. Les habitations seront aussi plus hautes et plus rapprochées pour faire face à la demande démographique. Une bonne idée ?  » Peut-être, si les autorités mettent le paquet et si des  » budgets publics sont dégagés « , souligne Jean-Jacques Nonet, le président de la CCW, la branche wallonne de la Confédération Construction. Si on veut renforcer l’attrait et la qualité des zones bâties actuelles, il est essentiel d’accélérer les politiques de revitalisation urbaine et rurale, de stimuler la démolition-reconstruction des tissus vétustes, de restaurer le bâti historique, d’assainir les friches industrielles, d’amplifier la rénovation énergétique des logements et des bâtiments secondaires et tertiaires, sans oublier des circuits courts. « 

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