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Devenir père à 30, 40 ou 50 ans: 3 papas racontent

Il n’est plus si rare de (re)devenir jeune papa à 50 ans. En quoi l’âge influence-t-il l’expérience de la paternité ? Pour le savoir, rien ne vaut une discussion à bâtons rompus entre de nouveaux pères d’âges différents !

Ah, la paternité tardive ! Ce  » marronnier  » de la presse people : il y a quelques mois, l’acteur Daniel Craig, 50 ans et déjà papa d’une fille de 26 ans, annonçait fièrement que son épouse était enceinte. Avant lui et pour ne citer qu’eux, Hugh Grant, Nicolas Sarkozy, Bruce Willis, Jean Reno ou Mel Gibson ont eux aussi été placés sous le feu des projecteurs, pour avoir connu les joies de (re)devenir père à plus de 50 ans. Un heureux chamboulement qui ne concerne pas que les stars ! En Belgique, même si le phénomène reste marginal, il est de plus en plus perceptible. Selon les chiffres fournis par Stat-bel, en 2014, ils étaient ainsi 2.321 nouveaux papas à être âgés de plus de 50 ans (soit 1,9 % du total). C’est quatre fois plus que vingt ans auparavant : en 1994, ils n’étaient que 696 (0,7 % du total).

Eric Heidebroek « Quand on a un enfant à mon âge, c’est une décision, rarement un accident !

Mais comment aborde-t-on la paternité à l’âge où d’autres deviennent parfois grandspères ? Est-ce vraiment différent de ce que vit et ressent chaque homme qui devient parent ? Nous nous sommes penchés sur la question en réunissant, le temps d’une interview, trois jeunes papas : Eric Heidebroek (60 ans, père d’un petit Elliot né en 2011), Matthieu Lietaert (40 ans, concepteur de vidéos informatives sur le rôle paternel avant, pendant et après l’accouchement, papa d’un bambin de 7 mois) et l’auteur de ces lignes (33 ans, père de deux adorables – forcément – petites filles de 3 et 5 ans).

Des papas aguerris

Parmi les 50+ qui choisissent de devenir parents, la plupart ont déjà eu d’autres enfants, le plus souvent d’une précédente union. En ce sens, ils ont une solide longueur d’avance sur leurs homologues plus jeunes. Ces derniers ont souvent tout à découvrir. Avec, parfois, de solides petites paniques à la clef !  » Ce qui m’a fort marqué, c’est qu’il y a un solide réseau féminin autour de la naissance et de la maternité, tandis que les papas doivent se débrouiller et définir leur rôle par eux-mêmes, se rappelle Matthieu Lietaert. Je n’ai jamais parlé de paternité avec mon père, ni vraiment avec mes amis. Il n’existe pas de transmission culturelle, d’échange de savoir entre papas, même sur les questions importantes ou très pratiques : comment l’accouchement va se passer, les premiers mois, les langes... Tout au plus quelques petites blagues qui ne répondent à rien. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé des cours en ligne : trouver les réponses aux questions que les nouveaux papas se posent prend énormément de temps ! »

Devenir père à 30, 40 ou 50 ans: 3 papas racontent
© PHOTOS : FRÉDÉRIC RAVENS

Une angoisse qu’Eric Heidebroek a beaucoup moins ressentie avec son petit dernier, même si ses premiers enfants sont nés dans les années 80.  » Je savais qu’un bébé allait arriver et j’étais bien conscient de toutes les contraintes que cela impliquait : ça bouffe du temps, ça pompe une énergie folle. L’appréhension était là mais à mon âge, on est beaucoup plus patient, plus calme. Dans mon cas, je savais comment les choses allaient se profiler. Finalement, j’ai beaucoup plus profité de cette paternité. Et il faut en profiter ! A chaque période, il y a des moments magiques : les premiers mots, les premiers pas... Je crois que quand on est plus âgé, on est beaucoup plus réceptif à tous ces moments-là. « 

Une vie à refaire

Mais au-delà du bonheur de voir son enfant grandir, il faut aussi veiller à faire bouillir la marmite dans un société qui, malgré tout, reste très patriarcale. L’une des grandes difficultés à (re)devenir parent aujourd’hui, et a fortiori père impliqué, tient dans le fait qu’il faut combiner performances au travail de plus en plus exigeantes – la fameuse  » compétitivité  » – et vie de famille.  » C’est vraiment un défi de développer une relation familiale dans une société productiviste, confirme Matthieu Lietaert. Je suis d’une génération qui change de boulot tous les deux ou trois ans. Internet et les nouvelles technologies devaient initialement nous aider mais, finalement, nous mettent au travail presque 24h/24. A quarante ans, des gens vont encore vouloir gravir des échelons dans leur carrière. Pour eux, s’ils choisissent de fonder une famille, la relation se fait au pas de course, très tôt le matin et tard le soir. Ce n’est que le week-end qu’ils peuvent développer une vie de famille. Ce n’est pas mon cas, mais c’est un choix que j’ai eu à poser : j’ai déjà réalisé des projets auxquels je tenais et je ne cherche plus à courir après la productivité...  » S’il existe des congés parentaux, permettant de réduire la voilure professionnelle (voir encadré), tout le monde ne peut pas se permettre de les prendre.

Devenir père à 30, 40 ou 50 ans: 3 papas racontent
© PHOTOS : FRÉDÉRIC RAVENS

Cette problématique, contrairement à ce qu’on pourrait penser, se pose également aux nouveaux pères qui arrivent en fin de carrière. La relative aisance financière, la vie professionnelle bien stabilisée et les possibilités de lever le pied ne sont pas toujours au rendez-vous.  » Quand on a un bébé à mon âge, c’est une décision, rarement un accident, raconte Eric Heidebroek. Dans mon cas, mon enfant est arrivé dans une famille recomposée. J’ai refait ma vie, ce qui signifie divorce et partage des biens. Effectivement, la plupart des gens qui ont entre 50 et 65 ans ont presque fini de rembourser leur maison et leurs enfants vont sortir ou sont sortis des études. Pas moi. La maison familiale a été vendue, j’ai soldé mon emprunt à la banque mais j’ai dû en refaire un autre. Je ne dis pas que j’ai dû repartir de zéro : j’ai une solide expérience professionnelle, mais je repars avec un crédit à rembourser et un enfant à l’école primaire. J’ai tout de même dû réduire ma charge de travail, car à 55 ans on ne peut plus faire autrement, mais c’est surtout une histoire de réorganisation : avec un petit bout dans les pieds, il devient beaucoup moins évident de travailler les soirs et le week-end ! »

Matthieu Lietaert « Il n’y a pas de transmission culturelle, d’échange de savoir entre papas.

Sur un pied d’égalité

Les nouveaux papas, qu’ils aient 30 ou 50 ans, seraient donc quelque part embarqués dans la même galère. Selon Eric Heidebroek, qui a lié de nombreuses relations avec d’autres parents plus jeunes à l’école ou à la crèche, les différences d’âges auraient d’ailleurs tendance à s’estomper dans les discussions : pères et mères font face aux mêmes joies, aux mêmes difficultés du quotidien, ce qui donne lieu à de belles synergies.  » Maintenant, il faut bien reconnaître que par rapport aux jeunes papas qui courent partout, qui jouent aux cow-boys et aux indiens ou font du foot avec les enfants, je n’ai plus vingt ans... et mes genoux non plus. Avec Elliot, je joue plutôt aux Lego ou je pars en promenade. Et quand je me sens un peu trop déphasé, je suis bien content d’avoir mes plus grands enfants qui peuvent jouer avec lui ! « 

Reste une sourde et grande angoisse, celle du temps qui passe.  » Aujourd’hui, j’ai soixante ans, j’espère rester en forme le plus longtemps possible pour Elliot. Un enfant, c’est votre chair, c’est votre sang. Il y a une fusion avec le petit dernier, j’essaye de lui donner le maximum, toujours avec la crainte de disparaître soudainement.  » Avant d’ajouter, avec un petit sourire :  » Mais quand j’en fais part à ma compagne, elle me rétorque que c’est le genre de choses qui peut arriver à n’importe qui, n’importe quel parent, quel que soit son âge.  » Pas faux. Raison de plus pour profiter de l’instant présent.

 » Devenir papa, pour la première fois ! « , par Matthieu Lietaert, sur www.superpapounets.be

 » Papa ? Non : parent ! « 

Malgré qu’ils ne soient pas de la même génération, nos deux interlocuteurs semblent sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne le rôle et les tâches du père.

 » Je ne sais pas s’il est plus facile d’être père aujourd’hui qu’hier, estime Matthieu Lietaert. Je pense qu’avant, les pères ne jouaient pas vraiment, ou moins, ce rôle. Leur rapport aux enfants pouvait être minime; cela ne fait pas si longtemps que les pères veulent rentrer sur le terrain de jeu. Avec raison : dès avant la naissance, je suis persuadé que le père a une place fondamentale pour créer le nid, le cocon qui facilitera la naissance. « 

 » Je ne crois pas qu’on puisse donner un rôle spécifique au père, ajoute Eric Heidebroek. Aujourd’hui, c’est le couple de parents qui a un rôle à jouer : les tâches doivent se partager entre eux, aucune ne doit être impérativement réservée à l’homme ou à la femme. Une juste répartition qui permet au couple de passer son temps libre ensemble. De quoi créer une bonne ambiance au sein du couple et offrir un climat rassurant à l’enfant ! « 

Congé parental : de plus en plus de papas

En 2016, 42.980 pères ont opté pour un congé parental. C’est bien moins que les mères (100.668), mais le chiffre est en constante augmentation et marque un intérêt de plus en plus prononcé des papas pour l’éducation des enfants. Instauré à la fin des années 90, ce  » congé thématique « , bien que limité dans le temps, s’avère protégé (il ne peut être refusé, seulement différé) et modulable (il peut être total ou partiel, mitemps, 1/5e et bientôt 1/10e temps). Par rapport à un travail à temps partiel  » structurel  » ou à une interruption de carrière, la perte financière est (légèrement) moindre et le travailleur est certain de retrouver son temps plein à l’issue du congé. Seuls soucis, souvent épinglés : une diminution des revenus bien réelle et le fait qu’en cas de passage à temps partiel, la charge de travail ne diminue pas toujours en conséquence... A cela, il faut ajouter que dans certaines entreprises, le congé parental n’est absolument pas encouragé.

Une fois n’est pas coutume, le journaliste s’exprime en son nom propre : j’ai la chance d’avoir pu me permettre de prendre temporairement un horaire à 4/5e temps. Pendant vingt mois, j’ai géré seul mes enfants en bas-âge le mercredi. Je mentirais si je n’avouais pas que les débuts furent laborieux : j’ai appris que s’occuper seul de deux enfants, dans un contexte de routine, n’équivalait pas à une journée de congé. Que du contraire ! Il m’a ainsi fallu apprendre à démêler des cheveux pour refaire des couettes (mon niveau d’aptitude est désormais passable), à courir du cours de danse à la bibliothèque avec une petite qui hurle parce qu’elle a mal au ventre, et une grande qui boude et ne veut pas marcher. A faire face au regard moqueur, à la fois attendri et plein de commisération, du  » gang des supermamans  » (vous savez, ces mamans qui restent longtemps devant les grilles de l’école et pour qui tout semble toujours si simple...), car j’avais oublié un cartable, un papier à rendre signé et que l’écharpe mal nouée de la petite dernière manquait de l’étouffer.

Autant de tracas effacés par quantité d’instants de grâce, des petits bras boudinés autour du cou, des éclats de rire ou d’émotion. Une belle aventure qui a sûrement un air de  » déjà vu  » ou qui réveille des souvenir chez nombre de mamans, mais qui échappe encore à quantité de pères.... Pourquoi ? Par choix personnel, peut-être, mais pas toujours. Mon cas l’illustre parfaitement. En juillet, je repasserai à temps plein. Pas nécessairement par envie. Mais le fait est que, à diplôme égal, ma compagne gagne moins en travaillant à temps plein que moi qui ne preste que quatre jours par semaine. Financièrement, le calcul est vite fait : il est plus intéressant que ce soit elle qui opte pour un temps de travail réduit. De nombreux parents sont probablement arrivés à la même conclusion.

Une meilleure répartition des tâches parentales passe assurément par une plus grande égalité hommes-femmes dans le monde du travail. Ce qui fait dire à Matthieu Lietaert que  » les autorités ont sûrement un grand rôle à jouer pour que les pères s’investissent davantage « .

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