© Lander Loeckx

Visite du hameau Sint-Anna-Pede, qui a inspiré Bruegel pour l’un de ses tableaux

Pieter Bruegel l’Ancien n’hésitait pas à se travestir en paysan pour chercher l’inspiration dans le Pajottenland. Quatre cents ans plus tard, que reste-t-il des paysages et saynètes immortalisés par le peintre ?

C’est l’un des tableaux les plus célèbres de Pieter Bruegel. Une scène qui pue la misère, où les seuls personnages sont une colonne d’aveugles crasseux et en haillons. Leurs traits décharnés encadrent des orbites vides tandis qu’une catastrophe est en cours : les impotents chutent inexorablement, entraînés les uns après les autres dans un fossé boueux. Cette Parabole des aveugles a beau être inspirée d’un texte biblique, l’oeuvre picturale sonne étrangement vrai. Encore plus aujourd’hui : c’est que la petite église en arrière-plan du tableau se trouve juste devant nos yeux, bien reconnaissable, à quelques mètres à peine. Nous sommes à Sint-Anna-Pede, petit hameau du Brabant Flamand aux portes de la Région bruxelloise.

S’il est souvent rattaché à Anvers, Bruegel (1529-1569) a en effet passé les huit dernières années de sa vie à Bruxelles. A l’époque, le peintre se plaît à arpenter la campagne toute proche afin de chercher l’inspiration pour ses peintures.

C’est à cette période que sont créées ses plus célèbres fresques de la vie paysanne, mettant en scène des fêtes villageoises, les cycles de saisons... Autant de tableaux démontrant un grand sens de l’observation (voir encadré).  » Dans le cas du tableau la Parabole des aveugles, par exemple, un célèbre oculiste français a analysé les personnages : tous souffrent de maladies des yeux bien identifiables, explique le guide Luc De Meulemeester. Or, tout près de l’église de Sint-Anna-Pede se trouvait la dépendance d’un hôpital des Marolles, où étaient envoyés les cas incurables, potentiellement des aveugles. «  Bruegel s’est-il installé ici, à l’ombre d’un arbre, pour réaliser des croquis d’après nature ? Impossible de le prouver pour les non-voyants, mais on peut sérieusement le penser ! Sint-Anna-Pede et son église constituent dès lors un excellent point de départ pour une  » promenade Bruegel « , soit un parcours de sept kilomètres à pied (ou 20 à vélo) lancé à travers le Pajottenland, émaillé de reproductions grand formats de célèbres oeuvres du peintre flamand.

Des montagnes dans le Brabant ?

N’espérez pas pour autant redécouvrir des panoramas tels que reproduits dans les tableaux : Bruegel ne cherchait pas à tout prix à présenter la réalité des extérieurs.  » Il s’agit de peintures de composition, détaille le guide, Bruegel est l’un des premiers à donner une réelle importance au paysage et mêle des éléments locaux à d’autres, imaginaires ou inspirés par ce qu’il a vu lors de son voyage en Italie. On retrouve le plus souvent de l’eau et des montagnes en plus de la terre du Brabant...  » Et de fait, il est difficile de retrouver un équivalent brabançon aux falaises escarpées ou aux rivages marins représentés sur les toiles ! L’apport du Pajottenland est plus à rechercher aux avant-plans, dans les masures, églises et moulins, les saynètes, les personnages, la végétation...

Tailler les arbres en têtard permettait d'obtenir facilement du bois de chauffage.
Tailler les arbres en têtard permettait d’obtenir facilement du bois de chauffage.© VISIT FLANDERS-LUC BOHEZ

Il en reste quelques petites traces, plutôt des évocations, même si la campagne est ici grignotée par l’urbanisation bruxelloise : les fermes sont pour la plupart devenues des résidences de périphérie, bien (trop ?) propres sur elles, et lorsque l’itinéraire aborde la commune d’Anderlecht, l’horizon se couvre carrément de vilaines barres d’immeubles.

Reste tout de même l’un ou l’autre chemin creux, des canards barbotant dans la Pede, quelques prés vallonnés bordés de masures anciennes. Ceux-ci dialoguent avec les reproductions de peintures disséminées sur le parcours, qui restent un délice à observer en grand format.  » Ce qu’il y a de formidable avec Bruegel, c’est que ses peintures nous invitent réellement à rentrer dans le tableau : il y a plein de petits éléments partout. Ce souci du détail vient peut-être du fait qu’il a été l’élève de Pieter Coecke et qu’on pense qu’il a travaillé pour l’atelier de sa femme, spécialisé dans les miniatures... « 

Vive les mariés !

Au détour d’une petite route pavée se dresse soudain une petite grange.  » Il se pourrait que ce soit à l’intérieur de celle-ci que ce soit déroulé la scène représentée dans le tableau la Noce paysanne « , fait remarquer Luc de Meulemeester. Vrai ? Faux ? Là encore, impossible d’être catégorique, même si le nom de la route,  » de Kroonweg « , pourrait faire référence à la couronne de la mariée.  » Certains ont aussi vu de la gueuze dans la boisson versée dans les cruches !  » Si la gueuze est une invention plus tardive (XIXe siècle), il est vrai que le lambic était déjà la boisson typique de la région. En traversant le joli village d’Itterbeek, nous longeons d’ailleurs la brasserie Timmermans, avant de retourner vers le fond de la vallée et ses ruisseaux, bordés des sempiternels saules têtards. A ce propos, savez-vous pourquoi les arbres étaient taillés de la sorte ? La réponse se trouve sur la reproduction de La Journée sombre, l’un des paysages les plus tourmentés de Bruegel. On y voit des paysans tailler les rejets des saules pour en faire des fagots : tailler les arbres en têtard permettait d’obtenir facilement du bois de chauffage, renouvelé chaque année et situé à proximité des habitations. Pas bêtes, les ancêtres !

Bruegel l’infiltré

Visite du hameau Sint-Anna-Pede, qui a inspiré Bruegel pour l'un de ses tableaux
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Pour rendre compte au mieux des scènes paysannes dans son tableau, Bruegel n’hésitait pas à aller les observer au plus près. C’est du moins ce qu’affirme l’esthète Carel Van Mander en 1604 : selon lui, Bruegel et un ami  » prenaient plaisir à aller aux kermesses et aux noces villageoises, déguisés en paysans, offrant des cadeaux comme les autres convives et se disant de la famille d’un des conjoints. Le bonheur de Breughel (sic) était d’étudier ces moeurs rustiques, ces ripailles, ces danses, ces amours champêtres, qu’il excellait à traduire par son pinceau « .

Pratique

La  » Bruegelwandeling  » existe en variante piéton (7 km, 11 reproductions grand format commentées) ou vélo (20 km, 19 reproductions). Promenade balisée au départ de l’église de Sint-Anna-Pede, Herdebeekstraat 176, 1701 Itterbeek. Possibilité de visite guidée. Itinéraire explicatif disponible sur toerismedilbeek.be

Du 7 avril au 31 octobre 2019, une autre promenade  » Le regard de Bruegel – reconstruction du paysage  » relie l’église de Sint-Anna-Pede au moulin de Sint-Gertudis-Pede, et regroupe douze installations artistiques contemporaines.

Plus d’infos ?www.toerisme-pajottenland.be ou 02 365 98 50, www.bruegel2019.be

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