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Non, une perte de mémoire n’est pas forcément pathologique

Julie Luong

Au fil du temps, nos capacités mémorielles ont tendance à diminuer. Si certaines activités permettent de les entretenir, la vie sociale est encore ce qui importe le plus.

Le nom de cette beauté blonde et glacée, qui jouait dans les films d’Alfred Hitchcock ? Vous l’avez sur le bout de la langue ! Ce produit de vaisselle que vous vous étiez promis d’acheter en faisant les courses ? Visiblement pas dans le sac à provisions. La dernière conquête de votre neveu ? Il semblerait que vous veniez de commettre un impair en l’appelant par le prénom de la précédente... Et vous voilà déjà à paniquer, à vous dire que vous perdez la tête et que vous commencez Alzheimer...

En vérité, les choses ne sont pas si simples. En vieillissant, la plupart d’entre nous n’ont plus une aussi bonne mémoire qu’avant. Les capacités d’encodage, de stockage et de récupération des informations se modifient, ce qui a le don de nous agacer ! Mais cela ne signifie pas nécessairement que nous sommes malades ou que nous avons besoin de nous faire aider. Pour le Dr Eric Salmon, neurologue et spécialiste de la mémoire, un seul critère : s’écouter et écouter son entourage.  » Il est normal de mettre plus de temps à aller rechercher une information avec l’âge. On sait ainsi que les normes pour une personne de 70-80 ans ne sont pas les mêmes que pour une personne de 20-30 ans. Mais on considère que ces modifications sont physiologiques et non pathologiques, tant qu’on est capable de les assumer, d’en tenir compte et de trouver des stratégies alternatives. On est le meilleur connaisseur de soi-même ! Si ça commence à poser problème et qu’on ne parvient pas à trouver de solutions, si l’entourage s’étonne aussi de ces oublis et que cela a un impact dans le quotidien, alors là, ça vaut la peine d’en parler. « 

Toutes les mémoires ne diminuent pas !

Bien sûr, nous sommes très inégaux face à la mémoire et à ses modifications au fil du temps. Certaines personnes conservent une excellente mémoire avec l’âge, tandis que d’autres éprouvent une grande frustration à ne plus se souvenir avec autant de vivacité que par le passé. Aujourd’hui, nous savons notamment qu’un des critères qui influencent l’évolution de notre mémoire est ce qu’on appelle la « réserve cognitive », qui correspond à ce que nous avons accompli dans notre vie : métier, études, loisirs...

On sait également que l’activité physique est favorable à la mémoire car elle favorise la neurogenèse (création de nouveaux neurones) et l’angiogenèse (création de nouveaux réseaux sanguins). La richesse de la vie sociale, tout comme la qualité du sommeil mais aussi la génétique entrent également en ligne de compte.

La bonne nouvelle, c’est que nous possédons tous plusieurs types de mémoires et que toutes ne diminuent pas avec l’âge. Il existe principalement cinq mémoires distinctes. La mémoire de travail (1) est une mémoire instantanée, qui permet de faire une addition, de se souvenir de la phrase qu’on vient d’entendre, de l’image qu’on vient de voir. La mémoire épisodique (2) est celle des souvenirs personnels, des événements vécus dans leur contexte. Ainsi, nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001, alors que l’évocation de la guerre 14-18 suscitera moins d’émotions. Cet événement appartient davantage à la mémoire sémantique (3), qui est celle des connaissances acquises, de la culture générale, du vocabulaire. La mémoire procédurale (4) est la mémoire du corps, des gestes appris : conduire une voiture, exécuter un pas de danse... Enfin, la mémoire implicite (5) est une mémoire d’amorçage qui accélère le traitement par le cerveau d’informations déjà rencontrées : elle permet par exemple de trouver la réponse à une question parmi trois propositions, alors qu’il nous aurait été impossible de donner spontanément cette réponse.

La mémoire sémantique augmente

 » La mémoire de travail et la mémoire épisodique diminuent avec l’âge, souligne le Dr Eric Salmon. Nous retenons moins de détails contextuels et nous avons aussi moins de capacités à faire plusieurs choses à la fois. Mais, en revanche, la mémoire sémantique augmente avec le temps car plus on a vécu, plus on a enregistré de connaissances générales. La mémoire procédurale, elle aussi, a tendance à s’améliorer avec le temps. C’est pourquoi nous avons l’impression que notre grand-mère réalisait telle recette comme personne : parce qu’elle avait acquis, au fil du temps, les gestes parfaits. De même, c’est pour cette raison qu’un musicien devient généralement meilleur en avançant dans sa carrière. « 

La mémoire implicite gagne aussi en importance avec les années.  » On observe qu’avec l’âge, les moyens d’aller rechercher une information se modifient. Pour une personne âgée, garder spontanément les détails de ce qu’elle a entendu devient difficile mais quand on aide la mémoire, quand on apporte un indice, on va relancer et faciliter la recherche. Peut-être que le nom de l’actuelle première ministre britannique ne vous revient pas, mais si je vous dit que son nom est Theresa ou que je vous demande de choisir entre Theresa May et Margaret Thatcher, il est probable que vous pourrez répondre. « 

Entretenir sa mémoire

Nous avons tous à coeur de conserver une bonne mémoire car ce stock d’informations et de souvenirs constitue une partie de notre identité même. Cependant, la mémoire n’est pas un coffre-fort dont le contenu serait immuable.  » On ne cesse de reconstruire sa mémoire. À chaque fois qu’on se remémore quelque chose, on remet en exergue une partie du souvenir et d’une manière extrêmement humaine, on va en retenir les côtés positifs et laisser tomber les choses qui n’avaient pas bien marché. Ou au contraire, en cas de dépression par exemple, se souvenir avec un excès de détails d’épisodes malheureux « , détaille le spécialiste.

On ne cesse donc de transformer notre mémoire au fur et à mesure du vécu et de l’âge que nous avons.  » La mémoire est aussi quelque chose de fragile et de subjectif, qui rend par exemple les choses très difficiles quand on doit faire un témoignage en justice. «  L’oubli lui-même fait d’ailleurs partie de la mémoire : il nous permet de faire de la place à de nouvelles informations.  » Si vous devez changer de code secret pour votre carte de banque, vous avez tout intérêt à oublier le précédent « , illustre Eric Salmon. L’oubli est aussi une protection utilisée par notre psychisme. Ainsi, certaines personnes ont peu ou pas de souvenirs de leur enfance, mais c’est en général parce que le contexte émotionnel était alors trop douloureux.

Comment stimuler sa mémoire

Entretenez votre vie sociale. L’interaction avec les autres stimule les différentes fonctions cérébrales. Cela aide aussi la mémoire à s’adapter et à former de nouveaux souvenirs.

Bougez. Différentes études indiquent que des promenades régulières à un rythme soutenu aident à conserver de bonnes capacités d’apprentissage et une bonne mémoire.

Protégez-vous du stress et de l’anxiété qui influencent négativement la capacité de concentration et la mémoire. Des exercices de respiration et le yoga peuvent aider.

Evitez de faire plusieurs choses en même temps. Se consacrer à une tâche à la fois soulage les facultés de mémorisation.

Gardez toujours un carnet de note à portée de main pour y inscrire toutes les informations non prioritaires auxquelles vous êtes confronté. Cela aide à rester plus serein et libère votre mémoire pour les choses vraiment importantes.

Se confronter aux autres

Pour maintenir la plus grande utilisation possible de ses différentes mémoires, il convient surtout de se confronter... aux autres.  » Bien sûr, les activités cérébrales sont utiles. Faire des mots croisés, par exemple, entraîne la mémoire sémantique, mais ce n’est pas pour ça que je serai davantage capable de faire des additions. Il faut se faire plaisir, mais ne pas s’attendre à ce que ces actions spécifiques se généralisent à d’autres types de mémoires. «  De même, tenir un journal de bord, établir la liste des livres qu’on a vus ou des livres qu’on a lus, noter les dates de certains événements peut être très utile pour entretenir sa mémoire, mais le plus efficace sera toujours... d’en parler.  » Le meilleur moyen de faire fonctionner sa mémoire, c’est de se confronter à d’autres qui font ou qui pensent autrement. C’est pourquoi il est important, quel que soit notre âge et notre milieu, de continuer à avoir des activités, une vie sociale pour permettre à la mémoire de se moduler « , observe le Dr Eric Salmon.

Se projeter dans l’avenir

La mémoire, enfin, est fondamentalement liée à la faculté que nous avons de nous projeter... dans l’avenir.  » Si une personne jeune raconte à sa grand-mère le plaisir qu’elle a eu à faire du surf sur une plage californienne, il est probable que la grand-mère ne va pas se projeter avec elle sur cette plage et qu’elle sera donc moins attentive à ce récit, qu’elle en retiendra moins les détails. En revanche, si une voisine lui dit qu’elle vient de découvrir une piscine où il n’y a pas trop de monde, qui est bien chauffée et qui se trouve juste à côté de chez elles, il y a des chances que la résonance subjective soit présente. «  Pour conserver ses facultés d’attention et de mémoire, il faut donc aussi éprouver de l’intérêt !

Il arrive souvent que des enfants se plaignent de ce que leurs parents âgés ne les écoutent pas : c’est oublier que nous avons tous besoin de nous projeter dans les récits des autres, quelle que soit notre affection pour eux.  » Il est normal qu’arrivé à un certain stade de sa vie, on ait besoin de se replonger dans les souvenirs plutôt que de se projeter dans l’avenir. C’est pourquoi, quand on parle à des personnes plus âgées, il faut aussi accepter de prendre un peu plus de temps et de ne pas donner trop d’informations à la fois. «  C’est à ce prix que la qualité de l’écoute se préserve... et que la mémoire s’entretient.

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